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Plus les groupes s’écartent, plus l’organisation se trouve, adaptée à un genre de vie exclusif. C’est là une tendance inévitable de la perfectibilité organique, ce que M. Milne Edwards appelle la division du travail physiologique, et qu’on pourrait définir l’adaptation croissante des organes à des fonctions de mieux en mieux déterminées. Quand on remonte les diverses séries, avant le moment où elles sont fixées, on reconnaît dans chaque groupe la trace des degrés successifs par lesquels il a dû passer : de là des ambiguïtés de fonctions correspondant aux ambiguïtés de caractères. C’est ainsi que, dans la plupart des genres de la faune dont nous parlons, le régime alimentaire, dévoilé par l’étude de la dentition, ne se compose pas exclusivement de proie vivante pour les carnassiers, ni seulement d’herbages ou de fruits pour les herbivores. Tous accusent plus ou moins un régime omnivore, c’est-à-dire mélangé dans une certaine proportion de racines, de feuilles et de fruits. La classe des mammifères était donc encore éloignée de son développement final. Peut-être le règne végétal ne lui avait-il pas encore fourni des élémens assez abondans et assez variés pour permettre à chaque série de choisir sa vie et de s’y renfermer. Peut-être le temps qu’exige une pareille adaptation avait-il manqué, ou les circonstances avaient-elles cessé plusieurs fois de lui être favorables. En tout cas, la loi de solidarité des deux règnes se laisse ici entrevoir dans toute sa force, puisque l’évolution végétale, qui doit nécessairement précéder le développement de la faune, se trouve achevée dans ses traits les plus essentiels bien avant celui-ci.

Si l’Europe était loin de ressembler à ce qu’elle est aujourd’hui, et même à ce qu’elle a été depuis, elle était plus riche sous bien des rapports. A peine peut-on admettre qu’elle ait vu naître depuis de nouveaux types de végétaux ; mais elle a complété le développement de ceux qu’elle comprenait déjà. Elle a propagé certaines catégories, comme les associations herbacées ; elle a multiplié des conditions d’existence dont les grands animaux ont pu profiter pour se perfectionner, augmenter en nombre, en taille, et arriver enfin au terme de leur développement. Avant d’atteindre ce dernier résultat, l’Europe avait encore bien des changemens à subir ; mais tous se sont opérés par degrés insensibles. Les palmiers, les dragonniers, les grandes fougères, d’autres essences tropicales qui se maintiennent longtemps encore après le temps dont nous venons de parler, font voir que la chaleur n’a pas encore diminué. Cependant de nouvelles espèces des mêmes groupes viennent peu à peu remplacer les formes antérieures dont on perd la trace ; les végétaux de physionomie australienne deviennent au contraire moins communs. Les essences qui recherchent le bord des eaux ou se plaisent sous un climat humide et chaud à la fois se multiplient de plus en