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plusieurs causes combinées ; il leur faut une température égale, peu élevée, puisqu’il n’existe plus de tourbes au sud du 40e degré de latitude, une humidité presque constante, un pays plat, où les eaux puissent accourir de toutes parts, un sous-sol imperméable qui les retienne et les oblige de se rassembler en nappe d’un faible volume, mais permanente, possédant une issue régulière, enfin pure de tout apport limoneux ou torrentiel. Dans ces conditions, certaines associations de plantes amies des marécages envahissent tout l’espace occupé par les eaux, et forment un tapis serré qui recouvre entièrement la nappe aquatique. Les conditions demeurant toujours les mêmes, les produits de la végétation se succèdent et s’accumulent selon un mode très uniforme ; les résidus de tiges, de feuilles, et de racines forment au fond un lit qu’une action lente, dont la chimie explique les effets, convertit peu à peu en une pâte homogène, d’autant plus compacte qu’elle est plus ancienne. Lorsque l’on tranche une tourbière en activité, on rencontre donc trois couches bien distinctes : la couche inférieure charbonneuse, reposant sur le sous-sol imperméable, la couche moyenne, occupée par l’eau et dans laquelle plongent les racines des plantes serrées du tapis végétal qui lui-même constitue la couche supérieure. Les mousses, les joncs, les graminées, les arbustes débiles et rampans qui croissent dans les tourbières, constituent un sol artificiel, dangereux à parcourir, mais cependant fertile à cause des substances végétales décomposées qu’il contient et de l’eau qui le pénètre. Favorisés par ces circonstances, de grands arbres, même des forêts entières, peuvent s’y élever. Les saules, les trembles, les bouleaux, les pins, hantent ces sortes de stations et y prennent un accroissement rapide ; mais ils se soutiennent mal sur un sol inconsistant : entraînés par le poids, les troncs s’inclinent, tombent et s’enfoncent sous la végétation herbacée qui tend à les recouvrir. Ils arrivent enfin dans la couche inférieure, où parviennent également les fruits coriaces, les débris d’animaux et les objets de toute nature abandonnés à la surface. C’est ainsi que l’on a retiré d’anciennes tourbières des squelettes entiers d’animaux perdus, des armes, des instrumens, dans un état de conservation quelquefois merveilleux.

L’analogie des dépôts tourbeux avec ceux qui ont donné naissance à la houille se découvre ici d’elle-même ; il n’y a qu’à remplacer les humbles plantes d’aujourd’hui par celles qui croissaient alors en Europe pour reconstruire les vastes bassins charbonneux qui, à travers d’innombrables vicissitudes, ont emmagasiné au profit de nos générations les restes de tant de végétaux. En se transportant par la pensée vers une de ces îles primitives entourées par les houillères d’une réunion de colonies verdoyantes, on