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Galilée jusqu’à Laplace. Au cours d’astronomie succède un cours d’histoire naturelle : une heure encore suffit à résumer les travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, de Lamark, de Darwin, etc. Le jeune conférencier s’échauffe ; il se met à retracer l’histoire de l’humanité. L’Inde, l’Égypte, la Mésopotamie, la Grèce, Rome, passent tour à tour dans son récit avec leurs cortèges de grands hommes. Si la comtesse n’en est pas encore à crier grâce, c’est évidemment qu’elle a dû s’endormir ; mais notre conférencier ne s’en aperçoit pas. De l’histoire universelle et comparée, il passe à un cours de morale, et couronne le tout par une leçon de théodicée.

Nous ne nous arrêterons pas à faire remarquer que l’omniscience de cet amoureux d’une nouvelle espèce n’a d’égale que son ubiquité. On le voit en effet, la robe jetée aux orties, voyager partout à la remorque de l’oisive et mondaine Mme de Chalis ; mais dès à présent, en notre âme et conscience, nous absolvons une si jeune et si jolie femme de toutes les irrégularités de conduite et des excentricités les plus étranges qu’elle se permettra par la suite. On comprend trop qu’après une pareille épreuve elle ait besoin d’un changement de régime. Ce ne serait même pas un paradoxe de soutenir que le vrai coupable et l’auteur de la perdition de la comtesse, c’est le professeur dont l’intempestif étalage d’érudition lui a fait trop visiblement prendre en horreur les plaisirs de l’étude et les austères satisfactions de la recherche scientifique.

En somme, qu’a voulu M. Feydeau ? Entamer un plaidoyer pour ou contre l’éducation des femmes ? Le sujet serait de circonstance ; mais c’est une bien périlleuse hardiesse que de vouloir mettre en roman une thèse philosophique ou sociale. De plus robustes que M. Feydeau, sans y échouer, n’ont pas laissé d’y compromettre et leur talent et leur réputation. — Dénoncer les vices, flageller les scandales de certaines classes ? Dessein louable assurément, mais est-il nécessaire d’enfourcher le dada du moraliste et de faire mouvoir la grosse artillerie des principes pour des fous tels que le prince Titiane, ou des malades comme la comtesse de Chalis ? C’est M. Feydeau qui qualifie ses héros de la sorte, et, s’il avait voulu faire de la morale, il ne pouvait mieux mettre en évidence le manque de portée pratique de sa leçon. Il y a des établissemens spéciaux affectés à la cure de ces cas pathologiques, qui relèvent de la science médicale, non de celle du philosophe, qui réclament des soins hydrothérapiques et non le châtiment de la satire littéraire. Resterait cette dernière supposition que M. Feydeau a voulu faire œuvre d’art. Après ce que nous avons analysé de la Comtesse de Chalis, il serait cruel d’insister sur l’étrangeté d’une prétention qui se concilierait difficilement avec l’inexpérience et le manque d’originalité vraie qu’il nous a été trop facile de constater.


L. GREGORI.

L. BULOZ.