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que la pièce de Sedaine et la musique de Monsigny. A l’Opéra, on n’applaudit que les femmes, à l’Opéra-Comique, patrie de Joconde, c’est l’inverse. Il y a au théâtre de ces traditions qui jamais ne s’effacent. De jour en jour, on se souvient moins de Martin, le nom de Chollet n’est plus qu’un mythe ; mais Elleviou, quelle différence ! Celui-là représente la jeunesse, la grâce, l’amour ; c’est le calife à aigrette de diamans, le beau capitaine qui passe colonel et ne souhaite rien au-delà, car être général, c’est se vieillir. J’entendais l’autre soir faire cette remarque, que M. Capoul dans ce rôle ne met pas de perruque, il joue avec ses cheveux, à merveille ! Ce sont bien ses cheveux qu’il se contente d’enneiger d’un soupçon de poudre à la maréchale et qui montrent leurs rouleaux lustrés de noir sous cette neige, et l’on s’extasiait, et de cette aimable coiffure on lui tenait compte presque à l’égal de sa charmante voix et de son talent. Mme Cabel joue la romanesque nièce du gouverneur de Madras, et ne brille dans tout l’ouvrage que d’un assez terne éclat ; c’en est même triste à faire rêver ; elle est comme la Mélancolie du tableau et rappelle la puissante vierge d’Albert Dürer. Toutes ces fusées chromatiques, tous ces trilles emperlés, ces chants d’oiseau qu’on aimait autrefois, sont passés de mode, on les craint ; dès qu’en revient la ritournelle, on voudrait fuir. C’est usé, vieillot, neiges d’antan ! A l’Opéra-Comique comme ailleurs, le génie n’a pas d’âge, mais le talent y passe vite ; il faut être jeune ou du moins pouvoir persuader au public qu’on l’est encore. Ici, c’est par les femmes que pêche la troupe : tandis que l’Opéra n’a point de ténor, l’Opéra-Comique en a deux ; en revanche il lui faudrait à présent trouver une cantatrice. Mme Galli-Marié s’en va, dit-on ; je ne suis pas de ceux qui regretteront ce départ. Avec sa voix mauvaise, son inaptitude à jouer autre chose que des travestis, elle n’eût pas tenu longtemps. Son intelligence, son diable au corps de comédienne, ont pu çà et là rendre des services ; mais c’était, comme Mme Ugalde, une de ces sirènes qui finissent par entraîner un théâtre vers la cascade. — Revenons à l’opéra nouveau. Le succès, éclatant tout d’abord, grandit chaque jour, et si jamais M. Auber doit faire une fin, ses meilleurs amis ne sauraient lui en souhaiter une plus belle. — Une nuit, à Samos, Anacréon soupait chez Polycrate. Au dessert, le poète divin, couronné de roses et sa coupe d’or à la main, riait, chantait et badinait entre Léontium et Laïs. « Homme incorrigible, lui dit le tyran, toujours Éros et des chansons ! L’heure de la retraite n’a-t-elle donc pas depuis longtemps sonné ? — Sire, répondit Anacréon, il se peut qu’elle ait sonné ; quant à moi, je ne l’ai pas entendue ! »

Je doute que la reprise de Don Giovanni qu’on vient de faire aide beaucoup à la fortune des Italiens, et que la gloire de Mozart en retire quelque profit. On attendait mieux de M. Steller dans ce rôle ; il y est lourd, fâcheux, en complet désaccord avec le caractère, joue à l’italienne