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compagnon de route et des plus expérimentés. Ainsi ménagé, le succès devait être ce que nous voyons. Cette pièce convient si bien à la musique, elle flatte tellement les goûts du musicien, qu’on croirait que M. Auber, après en avoir trouvé lui-même le sujet dans le Chevalier de Canolle (joué à l’Odéon en 1816), l’a commandé aux meilleurs faiseurs. C’est qu’en effet tout y est sympathique, à commencer par le côté pittoresque et anecdotique de l’action, qui se rattache à la campagne de Dupleix aux Indes, un des épisodes les plus émouvans, les plus mélancoliques de notre histoire moderne. Quel charmant héros d’opéra-comique, ce Gaston de Maillepré, jouet de la plus ironique des destinées ! Sa vie est un perpétuel contre-temps, l’implacable fortune est pour lui comme le loup du conte de Perrault, elle ne l’embrasse que pour mieux l’étouffer. Il hérite d’un million, voilà les procès qui pleuvent ; on le fait colonel, son meilleur ami s’en offense comme d’un passe-droit et le provoque ; il retrouve aux Indes la femme de ses rêves, celle qu’il adore pour l’avoir à peine entrevue en Écosse, et de ce hasard invraisemblable le sort jaloux se venge en le brouillant presque aussitôt avec elle. La situation, de même que dans le Domino noir, va se compliquant, se variant, jusqu’au finale du second acte, où dramatiquement elle bat son plein. L’aventureux colonel, dans une rencontre armée, est tombé aux mains des Anglais ; prisonnier sur parole, il assiste au bal du gouverneur de Madras, lequel naturellement a pour nièce la jeune Écossaise. Tout ce monde qui naguère au premier acte figurait dans le camp français, par un chassé-croisé providentiel, se rencontre maintenant au camp britannique. On danse, on chante, on joue ; les uniformes de toutes couleurs très pittoresquement vont et viennent, les bayadères cuivrées circulent parmi les pâles filles d’Albion, les radjas et les maharadjas emmaillottés de soie et d’or promènent leurs visages d’idoles parmi les groupes d’officiers européens. Le colonel de Maillepré s’assied à une table de jeu, il gagne. Attention ! sa destinée va faire des siennes ; séance tenante et dans le mouvement de la fête, un pli du général en chef arrive au gouverneur, il l’ouvre, qu’est-ce encore ?

Fiez-vous donc aux ritournelles de M. Auber ! Dans l’orchestre, tout est galanterie, — un susurrement délicieux, un petit commérage Pompadour derrière l’éventail, et tandis que les violons chuchotent et minaudent, l’oncle de miss Hélène déchiffre sur la scène une sentence de mort ! Un de ces cousins à chansonnette, qui tant que dure la pièce épousent leur cousine, et qu’au dénoûment on éconduit, sir John Littlepool, égaré près des fortifications françaises et s’amusant à les dessiner sur son album, a été surpris et fusillé. La loi de la guerre veut des représailles, et le gouverneur, par ordre du général en chef, aura à faire passer par les armes son prisonnier. Ainsi voilà un galant homme qui se repose sur la foi des traités, et qui dans quelques heures va mourir. En attendant,