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difficultés. D’abord, en entourant la presse de menaces et de dangers, on lui rendra le service de la faire entrer dans une voie de modération et par conséquent d’augmenter son crédit sur l’opinion publique. Si l’on ose la molester dans l’usage modéré de ses plus justes droits, on s’exposera aux plus graves embarras. La loi n’a pas voulu lui restituer le jury pour juge ; elle l’a placée sous la juridiction des magistrats. C’est une résolution bien téméraire. A l’heure qu’il est, les magistratures qui aiment, la sécurité de la conscience et la certitude de l’indépendance, qui est la garantie de leur plus pur honneur, tiennent à se désintéresser de toute intervention dans la politique. La grande magistrature anglaise vient d’en donner un exemple éclatant. A la suite de la réforme en Angleterre, on a voulu fortifier la répression des actes de corruption électorale, et on avait songé à confier cette tâche aux juges ordinaires. La grande magistrature anglaise, la plus respectable peut-être de l’univers, s’est noblement refusée à cette compromission avec un scrupule qui réjouit la conscience humaine. Il faudra, comme les bons esprits le souhaitent, ou que la chambre des communes garde, comme autrefois, l’appréciation de la pureté de ses élections, ou créer des magistrats spéciaux affectés à cet office, en conservant toutes les garanties de publicité qui appartiennent aux parties. Il est peu respectueux et peu habile de faire intervenir la magistrature française dans les luttes d’opinion. C’est une pensée d’ancien régime, c’est un retour à la tradition parlementaire d’avant 1789. Nos anciens parlemens, qui à tout moment étaient appelés à être des juges politiques, étaient à tout moment aussi des obstacles au pouvoir exécutif. Ils rendaient souvent des services apparens à la couronne, ils faisaient brûler par les mains du bourreau des livres qui, malgré eux et malgré les ministres du despotisme, sont devenus la lumière du monde ; mais ils savaient aussi s’opiniâtrer dans des résistances invincibles, contre lesquelles l’aveugle royauté s’est brisée. On a refusé de laisser à douze jurés, citoyens inconnus, interprètes mobiles des mobilités de l’opinion publique, l’appréciation de délits indéfinis et indéfinissables. On a eu la témérité de vouloir livrer à la magistrature le jugement de ces délits vagues et incertains qui, dans leur qualification légale, déjouent la logique d’une langue aussi raisonnable et aussi honnête que le français. On veut impliquer notre magistrature dans les vacillations incessantes du droit politique : le pouvoir exécutif attend beaucoup d’elle mais toute l’expérience de l’histoire démontre que la magistrature, dans l’essence du sentiment de sa probité et de son honneur, refuse en définitive de se donner aux caprices et aux violences du pouvoir exécutif. Puis, au milieu de notre société si unifiée par les lumières et par le patriotisme, peut-on concevoir une magistrature comme un corps séparé, distinct, absolument impénétrable aux impressions publiques ? Il y a sans doute beaucoup à faire en France pour asseoir sur