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garde encore sa pureté première, je ne sais quel air de noblesse native. L’ampleur de son front se dérobe à demi sous quelques cheveux, Dans la fixité de son regard méditatif et sincère, on sent l’intensité de la vie intérieure. Sa lèvre fine a de la fierté. C’est la gravité étrange et énigmatique de l’homme qui pense et qui interroge, — qui doute peut-être : c’est tout Pascal.

Le mystère est un attrait de plus dans la vie d’un tel homme. Qu’a fait Pascal ? Quels sont les événemens qui ont rempli cette existence si courte et si absolument livrée à la tyrannie de la pensée ? Ceux qu’on connaît sont des événemens tout intérieurs, des incidens qui n’ont de signification que par celui qui en est le héros. On ne sait plus rien, et on saurait moins encore sans ce récit si sobre et si expressif laissé par une sœur de Pascal, Mme Périer, qui en quelques pages a tracé la touchante biographie de son frère. Qu’importe d’ailleurs ? Pascal n’avait guère le souci du bruit et de la renommée banale pour ses actions, quoiqu’il ait parlé de la gloire en homme qui n’en méconnaissait pas les secrètes fascinations. On n’était pas à l’époque des indiscrétions avant ou après la mort, des divulgations intéressées et des complaisances vaniteuses pour soi-même. Ce qui est certain, c’est qu’avant d’être ce penseur destiné à grandir avec le temps et à retrouver en quelque sorte une vie nouvelle après deux siècles, Blaise Pascal était né en pleine Auvergne, à Clermont, le 19 juin 1623, dans une de ces saines et vigoureuses familles où peut se former à un certain moment une nature exceptionnelle. La famille Pascal avait assez de noblesse pour n’être plus du commun, pas plus par les mœurs et par l’esprit que par la naissance ; elle n’était pas assez transformée pour être complètement détachée de cette masse obscure et vivace qui forme toujours la nation. C’était une famille de haut tiers-état passée dans les emplois. Elle avait assez de sève pour produire, dans une même génération, à côté de l’auteur des Pensées une Gilberte Périer, celle qui a raconté la simple histoire de son frère, une Jacqueline Pascal, celle qui, sous le nom de sœur Sainte-Euphémie, a été une vaillante religieuse, une des héroïnes de Port-Royal, sur laquelle est tombé comme un rayon du génie fraternel. Et Richelieu, Richelieu lui-même, en vérité, avait de l’instinct lorsqu’il disait un jour qu’on lui présentait cette famille : « Je vous recommande ces enfans, j’en ferai quelque chose de grand. » Ces noms si différens vont bien ensemble.

Pascal avait perdu tout jeune sa mère, morte à vingt-huit ans ; il était resté avec son père, homme instruit, de mœurs graves, de grandes relations, bon chrétien sans excès, comme on l’était dans ces vieilles et honnêtes familles de haute bourgeoisie, et auprès de