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est venue après lui, et qui, sans recourir au même remède héroïque, a connu les mêmes agitations, je dirai presque la même maladie, le même tourment de l’insoluble problème de la destinée de l’homme.

D’autres ont trouvé l’apaisement ou une apparence d’apaisement soit dans la foi, qui ne discute plus parce qu’elle se croit maîtresse de la vérité suprême, soit dans un scepticisme fatigué et complaisant, qui discute moins encore parce qu’il ne se soucie plus de rien. Pascal n’a jamais connu la paix ni le repos ; les passions ne donnent pas le repos, et sa vie, la vie de son esprit n’a été que passion. Non, la réflexion, l’habitude de l’analyse morale, les débats de la conscience aux prises avec elle-même, tout ce qui est travail intérieur n’a jamais été pour lui un délassement, ni même le tranquille et majestueux déploiement d’une grande intelligence. Il y va de tout son être, au point de se faire une souffrance de tout et de s’évanouir d’émotion dans un entretien où s’agitent les problèmes de la croyance. Sa pensée, vue de près, est une vraie tragédie pleine de péripéties et de pathétique, un drame à la Shakspeare dont son âme reste le premier, le mystérieux théâtre, et une des plus curieuses, une des plus éclatantes victoires de l’érudition contemporaine assurément est d’avoir retrouvé ce personnage si vivant, si humain, à travers les atténuations, les corrections et les additions sous lesquelles on a éteint sa flamme et son originalité, — comme on dégage encore quelque palais de Rome enfoui sous le sol, obstrué de ruines et de décombres. On peut le voir aujourd’hui, ce généreux supplicié de l’âme et de l’esprit, non plus dans les éditions d’autre, fois, systématiquement altérées par les scrupules de Port-Royal, mais dans cette édition si substantielle et si complète de M. Havet, dans ce texte rétabli par tant de mains fidèles auxquelles M. Cousin, avec sa pénétration inventive, donnait le signal il y a vingt-cinq ans. On peut surprendre en quelque sorte ce génie à l’œuvre, s’ébauchant, se corrigeant, s’arrêtant tout à coup saisi d’émotion, laissant sa pensée à demi achevée pour s’élancer encore et poursuivre tout haletant sa marche à travers les contradictions humaines. Ce manuscrit même est tout un drame, image de l’autre drame invisible. Jeune encore, toujours valétudinaire, altéré d’infini, dévoré du besoin de sonder l’inconnu, mêlant à des raffinemens douloureux une veine de secrète et haute ironie, audacieux et libre jusque dans le moment où il fait le plus d’efforts pour se refréner, ainsi apparaît ce nouveau Pascal, et sa nature morale semble se refléter dans cette physionomie que lui donne un portrait à peine ébauché retrouvé dans les papiers de Domat. C’est un beau et fin visage d’adolescent que n’ont point effleuré les passions vulgaires, et qui