Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UNE
LECTURE DE PASCAL

Pensées de Pascal, publiées d’après leur texte authentique, précédées d’une étude littéraire et accompagnées d’un commentaire, par M. Ernest Havet ; nouvelle édition.

Quiconque voudrait se tenir haut le cœur et l’esprit devrait de temps à autre, lorsqu’il se sent trop envahi par le flot des vulgarités ou des amertumes, relire une page, un fragment, ne fût-ce qu’une pensée de Pascal, une de ces pensées qui remuent et qui élèvent l’âme en la remuant, en la violentant quelquefois. Ce qui frappera toujours et de plus en plus désormais dans ce généreux et émouvant personnage de la vie morale et intellectuelle, dans cet Hamlet janséniste, c’est tout ce qui le rapproche de notre temps ; ce n’est ni le jeune inventeur d’une proposition d’Euclide, ni le savant occupé d’expériences sur le vide, ni le théoricien emporté de la grâce, ni même le polémiste qui a créé presque la comédie, ni enfin cet être spécial emprisonné dans un système ou dans une secte, c’est l’homme même, une des plus nobles et des plus touchantes créatures humaines, faisant de sa courte existence un combat, luttant avec toutes les puissances visibles et invisibles, savourant sans se lasser la volupté amère de la passion spirituelle et se jetant d’un mouvement effaré dans toutes les extrémités et toutes les humilités de la foi religieuse, pour échapper aux tentations d’un génie porté par son instinct à toutes les audaces. C’est ce qui fait de Pascal le frère aîné et certes toujours supérieur d’une famille nombreuse qui