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Perdita jusqu’à la pervenche de Rousseau ! M. Michelet dit tout cela dans son chapitre des prairies avec infiniment d’esprit, de poétique bon sens et de sentiment exquis des concordances naturelles du monde extérieur et du monde moral.

Un chapitre plein d’une ardeur amusante est celui que M. Michelet a consacré aux amours des fleurs. L’amour, qui, ainsi qu’on le sait, est le thème favori de M. Michelet, a le don de remplir sa susceptible imagination devisions et de mirages au point de lui faire voir les plus doux objets dans les formes arrondies des montagnes et dans les ouvertures rentrantes des vallées ; mais rarement il l’a mieux inspiré que dans ce chapitre sur les passions des fleurs. Tout ce qu’on pourrait lui reprocher, c’est peut-être un peu d’indiscrétion. Il les a regardées longuement aux momens les plus intéressans, et il a vu d’assez étranges choses ; mais, si quelque génie des fleurs, à l’âme implacablement odorante, était venu lui faire payer d’une légère migraine de quelques heures la complaisance qu’il avait prise à contempler leurs subtils mystères, je ne sais jusqu’à quel point l’aimable punition n’aurait pas été méritée. Quoi qu’il en soit, cette curiosité s’exprime avec une ardeur éloquente, quelquefois bizarre, mais pleine d’heureuses rencontres d’expressions et d’images. Je ne puis résister au plaisir de détacher cette jolie page. « On ferait un tort réel à l’imperceptible amant, si on croyait sa passion en rapport avec sa grosseur. Le désir lui crée des langues ; il parle par sa couleur, il parle par sa chaleur. Il ne dit pas fadement comme nous « mes feux, ma flamme, » mais il change la température autour de la bien-aimée. Elle sent une flamme très douce qui est lui et l’amour même. Lamarck l’observa le premier dans la fleur de l’arum. La luciole de même, dans la nuit, soupire en lumière. Les délicats thermomètres de Walferdin, que l’on place dans la fleur entre les amans, nous permettent de mesurer les degrés de la passion. Elle dépasse infiniment tout ce qu’on sait des animaux. Dans telle fleur, la capucine, le mâle en dix heures consume énormément d’oxygène, seize fois son propre volume. Qu’est-ce donc des fleurs des tropiques, de la furie végétale de Java ou de Bornéo ? Cette chaleur certainement amollit et attendrit. Ce n’est pas assez. Tout amour a sa magie, ses secrets, ses arts de fascination. Les oiseaux ont le plumage, le chant. Tous les animaux ont la grâce du mouvement ; par elle, ils exercent alors une sorte de magnétisme. Les parfums sont ce magnétisme dans l’amour végétal, c’est sa puissante incantation. Il la prie, il la fascine, l’enivre de ses essences. Langue divine en vérité, ravissante, irrésistible ! Si nous autres, étrangers à ce délicat petit monde, nous sommes tellement sensibles à ses émanations suaves, si la femme en est parfois émue malgré elle, troublée, qu’est-ce de la petite femme fleur ? Combien pénétrée, imbue de cette âme odorante qui l’entoure, qui l’envahit, doit-elle être vaincue d’avance, et plus que vaincue, transformée ! »

Cependant, quelque intéressant que soit ce monde frais et parfumé des