qui vivent au pied des montagnes, dans leurs vallées riantes et éternellement menacées ; ils ont tiré de leurs gigantesques attitudes, de leurs orages, de leurs avalanches, du bruit de leurs torrens, des milliers de comparaisons, d’onomatopées, d’épithètes faisant image ; mais aucun ne s’est dévoué exclusivement à elles. Elles n’ont pas eu de poètes, elles n’ont pas eu non plus de peintres, La peinture en a encore été plus embarrassée que la poésie, et leur a fait subir l’humiliation, à elles si altières et si imposantes, de servir simplement d’accessoire et de fond aux paysages et aux scènes qu’elle représentait. La peinture semble ne pouvoir rien faire du vert trop sombre et trop prédominant de leurs forêts, du blanc trop tyrannique de leurs glaciers, de la lumière trop éthérée, trop éclatante, trop peu dense en même temps, de leurs sommets. Plusieurs fois les peintres suisses ont essayé de fixer sur la toile les spectacles qu’elles leur offraient, et la dernière exposition contenait plusieurs échantillons de cette bonne volonté impuissante ; rien n’est choquant, discordant à l’œil comme l’opposition du vert presque lugubre de ces forêts et du blanc impitoyable de ces neiges. Un peu mieux favorisées par la musique, elles ont inspiré aux populations qui vivent à leur ombre quelques mélodies naïves ; mais les maîtres, qui si souvent ont reproduit la musique de la mer, des forêts et des fleuves, semblent avoir été sourds à leurs harmonies, et jusqu’à présent la seule grande œuvre musicale où leur voix se fasse entendre est l’admirable ouverture de Guillaume Tell, comme le seul poème où leur paysage soit dignement célébré est le Manfred de Byron.
Pourquoi donc les montagnes, qui abondent en spectacles si sublimes, ont-elles tant de peine à trouver leurs poètes ? Est-ce parce que cette sublimité est trop écrasante pour l’imagination ? Mais la mer, qui partage ce même caractère de sublimité, aurait dû partager aussi la même mauvaise fortune, et cependant cet infini visible, loin de déconcerter et de décourager les imaginations des poètes, les a toujours attirées au contraire. Je crois que c’est plutôt dans la différence des sentimens qu’inspirent ces deux grandes réalités qu’il faut chercher la raison de la différence de leur fortune poétique. Bien qu’elle soit l’infini visible, la mer possède une personnalité très marquée, elle est vraiment presque humaine par son caractère. Elle éprouve l’homme par l’amour et la haine, elle est pour lui une mère et une marâtre, une berceuse et une ennemie. Elle l’attire et le caresse, elle le repousse et le maudit, et, malgré l’écrasante disproportion de leurs forces respectives, l’homme ose entrer en lutte avec elle ; certain qu’il peut sortir triomphant de ce combat inégal. La mer par rapport à l’homme peut être appelée en toute exactitude un élément démocratique, car les sentimens qu’elle inspire et qu’elle ressent, dirait-on, sont ceux de la commune humanité, l’amour et la haine, la lutte et le repos. La mer est sociable jusque dans ses tempêtes ; au contraire les montagnes sont insociables même dans ce qu’elles ont de