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Mouça-Pacha est mort, et le recrutement par razzias s’est fort ralenti ; mais la traite est entrée dans une nouvelle phase. Les harems du Soudan égyptien sont pleins de noirs, et le besoin d’une race supérieure se fait impérieusement sentir. Ce nouvel élément, on le trouve dans les Habechiya, nom que l’on traduit improprement par Abyssins, car ce sont en réalité des esclaves gallas emmenés en contrebande par les musulmans d’Abyssinie sur le territoire égyptien, et d’autant plus aisés à confondre avec les vrais Abyssins que les deux races ont absolument le même type. Grâce à cette confusion, la conquête des contrées qui sont au sud de la Nubie est un événement ardemment désiré de tous les agens civils et militaires du vice-roi. En mars 1863, Ali, kachef ou chef de district de Doka, près Gallabat, profitant du moment où Théodore était au Godjam, se jeta sans provocation sur la province abyssine de Donkor, la mit à feu et à sang, et rentra à Doka avec plusieurs centaines de femmes et d’enfans chrétiens qui furent mis en vente au marché de Ghedaref, après qu’on en eut prélevé un certain nombre pour les distribuer comme à-comptes de solde à divers officiers et fonctionnaires. Ce qui ne fut pas vendu à Ghedaref fut dirigé vers le nord, triste bétail humain poussé à coups de fouet à travers le désert nubien et décimé à chaque étape par la souffrance, la fatigue et la nostalgie. L’épisode de Doka n’est pas isolé : partout les tribus nubiennes soumises à l’Égypte harcèlent les districts abyssins de la frontière et emmènent aux marchés égyptiens des captifs qui sont vendus sous les yeux des agens du vice-roi. Parfois ces rapines sont un moyen de propagande tout à fait conforme à l’esprit de la loi du prophète. Quand on a pris aux montagnards leurs femmes et leurs enfans, on leur propose de les leur restituer, s’ils consentent à se faire musulmans. C’est ce qui est récemment arrivé pour les Bogos, et il a fallu l’appui du pavillon français pour permettre à la mission lazariste établie dans cette tribu de neutraliser les effets d’un apostolat aussi étrange. Deux villages bareas qui n’avaient point ce puissant patronage ont été convertis de cette manière. Ceux qui portent intérêt à l’Abyssinie n’ont pas à craindre qu’elle soit conquise ; mais ils peuvent redouter que l’Égypte ne profite de là crise qu’elle traverse pour lui arracher les provinces de l’ouest, comme Volkaït, Donkor et Kuara, qu’elle convertirait en quartier-général des troupes employées à faire, sous prétexte de guerre, des rafles de femmes et d’enfans jusqu’au cœur de l’Amhara. Aujourd’hui le voyageur qui se rend de Gallabat à Gondar fait cinquante lieues sans trouver une habitation, bien que ce pays fût couvert de villages riches et nombreux au commencement du siècle. Les préfets du vice-roi ont créé le