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d’Ecosse, à qui l’Amba-Haï aurait rappelé le Ben-Nevis, et qui d’ailleurs (les caméronians du 33e par exemple) ne pouvaient pas manquer d’apporter dans la délivrance de leur compatriote et parent, M. Duncan Cameron, l’ardeur légitime d’une affaire de famille à régler. Quant à la grave question de l’approvisionnement et du casernement des troupes pendant les pluies, je n’ai pas besoin d’insister sur ce fait incontestable, que quatre mille hommes ne devaient pas éprouver de difficulté à vivre sur un terrain que les foules armées du négus n’avaient pu encore épuiser. Enfin, si la campagne traînait en longueur et nécessitait un campement d’été sur le plateau abyssin, rien n’était plus facile que de franchir le Takazzé avant les crues, et de s’établir dans les villes d’Axoum, Adoua, Gundepta et Enkitchoou[1], groupées au cœur du Tigré, et commandant un pays fertile très sympathique aux Européens.

Ce plan, quelle qu’en puisse être la valeur pratique, n’a pas été adopté, peut-être même ne s’est-il présenté à l’esprit d’aucun des officiers supérieurs de l’expédition : dès lors il n’y a pas lieu d’en discuter plus longuement les chances de succès, et nous n’avons plus à juger que les faits qui se passent sous nos yeux. Nous savons aujourd’hui que le corps anglo-indien massé à Sanafé doit se diriger sur Magdala en tournant les kollas profondes et malsaines de la Tselaré et du Takazzé. A la date des dernières nouvelles, un corps de 1,500 hommes venait d’entrer dans Antalo, l’un des principaux marchés du Tigré, et rien ne fait prévoir de sérieux obstacles entre ce point et Magdala, que l’on pourrait atteindre en douze jours d’une marche rapide, y compris les deux jours qu’exige le passage pénible des kollas de la Djidda et du Bachilo. On peut assurer d’avance que le négus ne profitera pas de l’occasion tentante qui s’offrira de disputer ce passage aux envahisseurs : ils ont toutes les chances d’arriver jusqu’à Magdala sans coup férir et d’y entrer de même. La garnison est brave, elle est très dévouée au négus ; mais il n’y a pas un Abyssin qui ne soit convaincu que l’artillerie anglaise « brise les montagnes, » et elle ne forcera même pas l’armée expéditionnaire à faire un siège, si court qu’il puisse être d’ailleurs. Ce qui était à craindre, et ce qui est en effet arrivé, c’est qu’à la première nouvelle de la marche des Anglais en avant, le négus n’accourût à Magdala pour emmener les prisonniers et s’en faire à tout hasard des otages. Quelques écrivains à qui l’Abyssinie est peu familière avaient pris au sérieux des bruits de journaux sur la détresse du négus et l’interruption de ses communications avec Magdala ; ils en avaient conclu que les Anglais pouvaient y

  1. Anticho, Anbichau des cartes, fief appartenant à un savant honorablement connu en Europe par ses études de botanique, le Dr Schimper, de Strasbourg.