n’avons pas le plus léger doute sur la sincérité de sir Robert Napier, affirmant aux Abyssins qu’il vient non pas conquérir leur pays, mais seulement châtier l’agresseur qui a répondu aux bons procédés du gouvernement britannique par des brutalités gratuites. Dès lors la question est fort simple. Autre chose est de conquérir l’Abyssinie et de la garder malgré elle, autre chose de régler une querelle toute personnelle avec un despote dont les récentes violences ont épuisé la patience du pays. Pour exécuter le premier projet, le corps expéditionnaire serait trois fois trop faible ; pour mener à bien le second, il est trois fois trop fort. Nous aurions préféré qu’un corps de quatre mille hommes, principalement composé d’infanterie légère, fût lancé hardiment au cœur de l’Abyssinie par la route directe de Gondar et de Debra-Tabor, d’où trois étapes mènent à Magdala. Ce corps pouvait être entièrement composé d’Européens ; les cipayes du Pundjab, qui font partie de l’expédition ne sont pas musulmans, mais ils portent le turban, ce qui peut amener des méprises fâcheuses dans un pays qui n’a qu’une passion politique bien vivace, la haine furieuse de l’islamisme. Nous n’aurions pas voulu d’artillerie, elle est inutile, et la carabine Snyder suffisait pour démoraliser un ennemi qui d’ailleurs se souvient d’avoir battu les Égyptiens malgré leurs canons. On ne se serait fait suivre que de très peu d’équipages : ils auraient gêné la rapidité de la marche, et l’armée devait aisément trouver à se nourrir dans une contrée fertile, la rapidité même de cette marche ne permettant point au négus de dévaster méthodiquement le pays sur le passage des Anglais. S’il risquait une bataille, il courait à sa perte. Ses troupes, ne combattant que par acquit de conscience, n’eussent pas tenu une heure devant les feux réguliers de l’infanterie ennemie, et le petit nombre des vainqueurs n’aurait fait qu’ajouter aux yeux des Abyssins à l’effet moral de la victoire. L’occupation des villes saintes, Axoum, Gondar, aurait donné un caractère plus officiel à la déchéance du « roi des rois ; » la prise de Magdala et la délivrance des prisonniers, objectif principal de la guerre, n’étaient plus qu’un jeu, et l’on achevait la ruine du négus en ouvrant ces prisons d’état où sont entassés ses ennemis mortels, tous les chefs qui sont à tort ou à raison populaires en Abyssinie, comme les deux Oubié ou Balgada Arœa. Si le négus avait voulu éviter la bataille et se replier en emmenant ses captifs vers les forêts de l’ouest, derrière le lac Tana, un corps de quatre mille hommes l’eût suivi plus aisément et plus efficacement. Pour une poursuite aussi laborieuse à travers les bois et les torrens, j’aurais même eu moins de confiance en « Jack Sepoy[1] » que dans les rudes highlanders
- ↑ Sobriquet familier des cipayes.