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entre Magdala et Gondar. Si l’armée du négus, bivouaquant dans des positions choisies à loisir, acclimatée, approvisionnée, voit le typhus et la dyssenterie faire dans ses rangs d’effrayans ravages, que n’a-t-on pas à craindre pour une armée étrangère, surprise en pleines opérations militaires dans les pâtés montagneux ou les barrancos qui abondent entre Magdala et Debra-Tabor, sur un terrain dévasté d’avance, ayant ses communications avec la mer gênées par la saison et interceptées peut-être par des partis armés !

Il ne faut pas espérer que l’armée puisse prendre ses quartiers d’été ailleurs que sous la tente. A l’exception d’Adoua, qui est fort éloignée de la ligne d’opérations adoptée par les Anglais, il n’y a pas en Abyssinie une seule ville assez vaste pour qu’il soit possible d’y caserner un bataillon européen. Les deux capitales modernes-de l’empire, Gondar et Debra-Tabor, ont été incendiées par Théodore lui-même ; on ne rencontre que des bourgades écartées les unes des autres, et on ne peut guère supposer que sir Robert Napier prenne la grave responsabilité d’éparpiller ses troupes sur une surface dont le diamètre serait pour le moins de cinquante lieues. L’armée doit donc d’avance se résigner à la dure perspective de bivouaquer pendant quatre mois sur des plateaux noyés par des pluies quotidiennes, d’effroyables averses, dont l’Inde aura d’ailleurs pu lui donner un avant-goût. Il faut froidement et virilement envisager ce côté de la question et accepter la nécessité d’un douloureux tribut à payer à un climat si différent du nôtre ; mais d’autre part il ne faut pas non plus s’exagérer l’étendue du sacrifice à prévoir. La quotité des pertes en hommes dépendra naturellement du soin avec lequel l’administration militaire pourvoira au bien-être et à l’hygiène des troupes expéditionnaires, et on peut s’en reposer sur elle en toute sécurité.

On peut même trouver à la rigueur que les précautions ont été sous ce rapport poussées jusqu’à l’exagération, et que l’expédition, avançant pas à pas, lentement, ne hasardant pas une étape avant d’avoir bien tâté le terrain en avant et assuré les communications en arrière, a perdu tous les avantages qu’une marche hardie à travers l’Abyssinie pouvait lui donner. En face des difficultés de la-situation présente, de la lenteur dispendieuse de l’expédition, de l’inquiétante probabilité d’avoir, selon l’expression d’un correspondant anglais, une seconde fête de Noël à passer en Abyssinie (another Christmas to spend here), il est difficile de ne pas se demander si le plan adopté est bien le meilleur. Sans vouloir empiéter sur les attributions d’hommes aussi dignes de la confiance publique que les officiers éprouvés qui ont tracé le plan de campagne aujourd’hui en cours d’exécution, nous en aurions compris un autre. Nous