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Louis XIV, comme si la Providence avait voulu, sur ce dernier coin de terre libre, empêcher le despotisme de prescrire ! Le président de La Houssaye termina sa harangue en exprimant l’espoir que la postérité, plus dégagée de passions que ne pouvait l’être la génération contemporaine pendant la fièvre d’une révolution, rendrait justice aux intentions désintéressées de magistrats auxquels les lois de leur pays avaient été commises en garde, et qui, parvenus pour la plupart au terme de leur vie, n’entendaient pas s’exposer, en abandonnant un pareil dépôt, à charger leur conscience d’un reproche et leur honneur d’une souillure.

Cette affirmation de droits inviolables, faite devant l’assemblée à laquelle la France avait remis tous ses pouvoirs, et dont les actes n’avaient soulevé jusqu’alors ni une protestation, ni une résistance, fit courir dans son sein un long frisson de colère. Toutefois, grâce à cette salutaire liberté de discussion dont la victoire d’une faction ne lui avait pas encore ravi l’usage, la constituante donna au pays à l’occasion des affaires de Bretagne le spectacle de l’un des plus beaux débats qui aient honoré la tribune française. Comme dans ces jeux funèbres où les héros antiques combattaient pour honorer la mémoire d’un mort illustre, tous les grands athlètes prirent part à la lutte suprême engagée entre le droit ancien et le droit nouveau venant se heurter directement l’un contre l’autre. On entendit d’Éprémesnil, grave et triste comme une puissance déchue, Cazalès, à la parole vive et acérée comme la lame de son épée, l’abbé Maury, qui défendit les droits de la Bretagne avec une parfaite connaissance de son histoire, devinée en quelques heures par une intuition merveilleuse. Le parlement et les états rencontrèrent un adversaire violent dans un jurisconsulte breton, dont la parole aurait eu plus d’autorité, s’il n’avait porté dans le cours du débat le poids d’une situation fausse. Avocat distingué, au parlement de Rennes, Le Chapelier attaqua sans mesure le corps devant lequel il s’était si souvent incliné. Longtemps investi de toute la confiance des états, près desquels il exerçait les fonctions de substitut des deux procureurs-syndics, il fit de cette institution la critique la plus sanglante ; tout récemment anobli, il adressa au corps de la noblesse bretonne des reproches qui laissaient sans excuse son empressement à s’y faire agréger. Un autre avocat, d’un plus grand esprit et d’un plus grand cœur, fut mieux inspiré en attaquant par des motifs de droit le refus d’enregistrement fait par la chambre des vacations ; il appartenait d’ailleurs à l’un des témoins des scènes de Vizille d’opposer aux illusions entretenues par la noblesse de Bretagne le généreux dévouement avec lequel celle du Dauphiné avait devancé l’heure des sacrifices. Barnave sut