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dissipée par un froid glacial, un seul discours paraît avoir été prononcé. L’orateur était un garçon de salle au service des états, et celui-ci n’eut aucune peine à persuader ses auditeurs de l’excellence du régime qui les faisait vivre. À cette manifestation d’un sentiment fort légitime succéda une haute imprudence. Les assistans se rendirent au palais aux cris de vivent les états ! vive le parlement ! dans l’intention de réclamer une diminution dans le prix du pain. La cour siégeait au moment où ils se présentèrent à la barre, et la facilité insolite avec laquelle ils y furent admis ne permit guère de douter d’un concert préalable. Le parlement promit de prendre de promptes mesures pour alléger les souffrances publiques, et les pétitionnaires, charmés d’un pareil accueil, ne tardèrent pas à donner à leur reconnaissance le cours le plus désordonné. Sur la place du palais se trouvait un café, qui, dans ces jours agités, formait pour la bourgeoisie le centre habituel de ses réunions politiques. Une vingtaine d’étudians postés en curieux à la porte, ayant pris en présence de la manifestation une attitude peu sympathique, reçurent une volée de coups de poing et de coups de bâton, déplorables violences qui furent le prélude de scènes plus sanglantes. Ces jeunes gens étaient sans armes, mais ils ne tardèrent pas à s’en procurer, car deux heures après il n’existait plus un seul fusil de chasse chez les armuriers, et le dépôt des compagnies bourgeoises ne tardait pas à être forcé.

L’intervention de la garnison et la nuit qui s’avançait suspendirent la vengeance ; mais l’aurore du lendemain trouva chacun armé de fusils, de pistolets, d’épées, et à son poste de combat. D’une part, l’école de droit devint le quartier-général d’une armée dont Moreau fut le chef ; de l’autre, la noblesse, munie de fusils à deux coups, rares encore à cette époque, transforma en forteresse la salle des états ; dont elle barricada solidement les portes. Bientôt toutes les rues de la ville furent le théâtre de rencontres entre les gentilshommes isolés qui s’efforçaient de rejoindre le gros de la noblesse réunie aux Cordeliers et les jeunes gens, partout postés afin de leur barrer le passage. Des deux côtés, on mit l’épée à la main avec la même bravoure, quoique avec une expérience inégale. Les projectiles pleuvaient des fenêtres sur les combattans, les femmes de la bourgeoisie, comme celles de la noblesse, prodiguant les plus chaleureux encouragemens à ces luttes fratricides. M. de Boishue tomba mort sous les yeux de sa mère, placée à son balcon et l’excitant de la voix ; M. de Saint-Riveult succomba après avoir fait