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liberté du parlement et aux droits et franchises de la province par l’envoi de troupes appelées pour ajouter l’oppression à l’oppression. » Dans ces circonstances critiques, le commandant, déjà en grand ménagement avec la bourgeoisie, où il comptait trouver de futurs auxiliaires, se conduisit avec une grande prudence. Il installa les troupes hors de la ville, pour n’avoir pas à répondre aux réclamations de la communauté, fort jalouse de ses privilèges, quoiqu’elle fût à la veille de les répudier, et il poussa la déférence jusqu’à lui fournir la preuve que la garnison ne faisait aucun des amas d’armes, aucun des approvisionnemens de poudre signalés chaque jour par les rumeurs populaires. M. de Thiard porta des coups secrets, mais terribles, à la puissance du parlement en le présentant comme l’obstacle principal aux progrès des idées d’égalité et de droit commun qui dominaient déjà partout en France. Il ne manqua pas de joindre à cette guerre politique des mesures de précaution afin d’empêcher les magistrats de se réunir pour délibérer, et il fit occuper militairement le palais de justice ; mais, des lettres de cachet ayant été adressées dans les derniers jours de mai au premier président et à six de ses collègues pour leur enjoindre de quitter Rennes, la compagnie résolut, en dépit des obstacles, de protester contre la violence. Le 2 juin, la plupart de ses membres se trouvèrent à cinq heures du matin réunis à l’hôtel de Guillé, mis à leur disposition par le président de ce nom. Ce fut là que le vieux parlement de Bretagne entendit pour la dernière fois le bruit des acclamations publiques, et qu’il prit une délibération solennelle dont l’importance m’oblige à citer le texte même :


« Considérant que l’arrivée de plusieurs régimens dans la ville de Rennes est le présage de nouveaux coups d’autorité et de violences personnelles contre les citoyens, et que les changemens préparés dans la constitution française ne pourraient être opérés légalement que par la nation assemblée dans les formes anciennes, en états-généraux,… la cour déclare nulle et illégale la transcription des édits, ordonnances et déclarations portés sur ses registres, fait défense à toutes personnes d’y obéir, à tous juges d’y avoir égard sous les peines qui y échéent,… déclare Thiard personnellement responsable envers le roi, la province et tous ceux qui y auraient intérêt de tous les événemens auxquels le séjour des gens de guerre pourrait donner lieu, déclare de plus ladite cour itérativement dénoncer au roi et à la nation comme coupables du crime de lèse-nation ceux qui, dans la perversité de leurs cœurs, ont osé concevoir, proposer et faire exécuter des projets qui tendent à la subversion fatale de l’ordre civil. »


Cependant le commandant, tardivement informé, venait de