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voulut se retirer ; il s’aperçut que la retraite était devenue fort difficile. La garnison, qui avait bloqué la cour, se trouvait à son tour bloquée par des masses profondes grossissant à chaque moment, et du milieu desquelles s’élevaient des cris furieux : Vive, le parlement ! vive la Bretagne ! à bas le despotisme ! à bas la cour plénière ! Dans ces clameurs se résumaient les sentimens confus qui agitaient alors cette population, sentimens dans lesquels les vieux souvenirs se mêlaient à des aspirations déjà très vives vers l’avenir, dont l’aube se laissait entrevoir. M. de Thiard avait à peine franchi les portes du palais qu’une grêle de projectiles assaillit son escorte. Les panneaux de sa chaise furent brisés, et une bûche lancée par un bras vigoureux vint à ses côtés atteindre gravement à la tête M. Bertrand de Molleville, intendant de la province, sur lequel la haine publique s’était principalement concentrée. Afin de dégager le commandant, les soldats apprêtaient leurs armes, lorsque M. de Nouainville, capitaine au régiment de Rohan, sortit des rangs en s’écriant : « Soldats, ne tirez pas ! ne sommes-nous pas tous citoyens ? » Se trompant sur le sens des paroles et sur l’attitude de cet officier, le peuple lapida l’homme qui venait de prononcer le premier un mot destiné à un retentissement immense, et M. de Nouainville tomba baigné dans son sang ; mais, désabusés bientôt après et désespérés de leur erreur, les assaillans pénétrèrent dans les rangs de la force armée pour enlever l’officier blessé et le porter en triomphe. Ce mouvement, auquel les soldats s’associèrent avec un empressement significatif, dégagea les abords du palais, et le cortège officiel put regagner l’hôtel du gouvernement au milieu des huées et des imprécations de la foule[1].

Cependant le ministère, informé de cette situation, dirigea sans retard sur la Bretagne toutes les forces alors stationnées dans les provinces limitrophes. Tandis que Rennes était en proie à une exaltation fiévreuse, trois régimens d’infanterie et quelques escadrons se préparaient à entrer dans ses murs ; mais une difficulté nouvelle arrêta bientôt le comte de Thiard. Il n’appartenait qu’à la commission intermédiaire de faire les fonds de casernement et d’étapes requis pour une augmentation de garnison aussi considérable. Le comte de Botherel, procureur-général-syndic, l’ayant réunie sur la demande du commandant, cette commission, où venaient se résumer, en l’absence des états, leurs pouvoirs administratifs et toute leur autorité morale, fut unanime pour refuser de concourir à une dépense « manifestement motivée par un projet d’attenter à la

  1. J’ai emprunté le récit de ces événemens et de la plupart de ceux qui vont suivre à un grand nombre d’écrits contemporains, ainsi qu’à l’Histoire de Rennes, par MM. Ducrest de Villeneuve et Maillet, et à Rennes moderne, par M. A. Marteville, t. III.