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de Montmorin. M. de Thiard était de l’école politique du marquis de La Fayette, école novatrice qui n’aimait pas le despotisme assurément, mais qui détestait encore davantage les privilèges et la prépondérance locale de la noblesse. Le nouveau commandant eut à peine posé le pied sur cette terre, où le passé se dressait encore tout vivant, qu’une barrière infranchissable s’éleva entre l’homme de cour dévoué aux idées nouvelles et le parti des robins et des hobereaux, comme on disait à Versailles. Ayant, dans la nuit du 10 mai 1788, ordonné au parlement de se réunir à sept heures du matin, M. de Thiard prit ses mesures pour triompher par la force de la résistance désespérée qu’il prévoyait. Un régiment occupa les abords du palais, et la cour en séance se trouva entourée d’un cercle de baïonnettes. A l’arrivée du commandant, elle ordonna de fermer les portes de la salle d’audience et d’en refuser l’accès à M. de Thiard, qui pénétra dans le palais assisté d’une nombreuse et menaçante escorte. Sommé par un huissier, au nom du premier président, de s’expliquer sur les causes d’un appareil si incompatible avec la liberté des magistrats, il déclara venir de par le roi tenir un lit de justice, bien résolu, pour l’accomplissement de ses ordres, à triompher par la force de tous les obstacles, s’il était assez malheureux pour en rencontrer. Cette réponse, transmise à la cour, ne changea point l’attitude de celle-ci. Des sapeurs s’étant présentés pour enfoncer les portes, elles furent ouvertes après que la violence eut été constatée, et le commandant pénétra dans l’enceinte où se tenaient les magistrats assis et couverts. M. de Catuélan, premier président, reçut communication de cinq édits dont il refusa de donner lecture, entendant protester par son silence contre des actes qui entraînaient le renversement de la constitution bretonne et contre la forme en laquelle ces actes lui étaient notifiés. M. de Thiard, avec une inflexibilité militaire, tempérée d’ailleurs par une parfaite politesse, se fit apporter séance tenante les registres du parlement ; il enjoignit au greffier d’y inscrire l’un après l’autre ces divers édits, les fit enregistrer successivement d’exprès commandement du roi, après avoir demandé toutefois sur chacun d’entre eux ses conclusions en forme à M. le procureur-général. À ces demandes cinq fois réitérées, M. de Caradeuc répondit cinq fois par la lecture de l’article de l’acte d’union de 1532, qui interdisait à des magistrats bretons toute discussion sur des mesures arbitraires, entachées d’une nullité radicale tant qu’elles n’étaient pas validées par l’approbation préalable des états.

L’opération s’accomplit en présence de la cour impassible, mais à laquelle une lettre de cachet du roi déposée par le commandant avait intimé la défense de désemparer. Lorsque M. de Thiard