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faveur de M. de La Bintinaye à la disposition du règlement de 1736, dont les termes avaient fixé à vingt-cinq ans l’âge requis pour siéger. Ce jeune homme parut un moment dans l’assemblée pour la remercier d’une distinction qui suffisait, disait-il, à l’honneur de sa vie ; il refusa d’ailleurs d’en profiter pour la faire remonter jusqu’au chef héroïque qui avait su inspirer à tous quelque chose de son généreux courage. ajoutant que, s’il était d’âge à mourir pour sa patrie, il manquait encore de l’expérience nécessaire pour en débattre les intérêts. Ces paroles, prononcées avec une modestie charmante, provoquèrent une scène d’enthousiasme dont un historien breton ne peut évoquer le souvenir sans éprouver un serrement de cœur. Huit ans plus tard en effet, la salle qui avait été le théâtre de ces patriotiques effusions vit couler à sa porte le premier sang versé dans nos discordes.

Cependant les événemens marchaient. Les plans de Turgot avaient succombé devant l’obstination de la magistrature, et ceux de Necker ne tardèrent pas à être contrariés par la cour. Le réformateur genevois dut se retirer devant les hésitations de Louis XVI, plein de courage pour supprimer les abus qui le touchaient personnellement, plein de timidité pour réformer ceux qui intéressaient les autres. Après Necker, Calonne succomba sous le poids d’une situation dont il avait commencé par dissimuler toutes les difficultés dans l’espoir de ranimer la confiance, et dont il finit par exagérer tous les périls afin d’imprimer une terreur utile à ses desseins. Dénué des qualités du prêtre et de celles de l’homme d’état, sans vertus comme sans idées, Brienne s’installa aux affaires du seul droit de son impudence. L’unique et le plus fatal effet de son administration fut de paralyser, en le laissant sans direction au moment le plus favorable, le généreux mouvement qui dans les assemblées provinciales avait spontanément rapproché les ordres privilégiés du tiers-état, mouvement qu’à des degrés divers on avait vu se produire partout excepté en Bretagne. En présence de la noblesse française, inclinant dans ses rangs les plus élevés à faire du droit commun en matière financière la base d’institutions encore à naître, nous allons voir en effet la noblesse bretonne s’obstiner seule dans la défense de ses privilèges, partie intégrante à ses yeux des vieilles institutions qu’elle entend conserver.

L’impéritie politique de l’archevêque de Sens eut pour conséquence de retarder la crise dans cette province, parce que Brienne arma simultanément contre lui des intérêts opposés tout prêts à s’y combattre. Afin de faire quelque chose, ce ministre avait convoqué les notables. Un pareil acte, que ne réclamaient ni l’avantage de l’état ni le sentiment public, n’avait eu d’autres signification