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Transformer les états de Bretagne en une assemblée consultative semblable à celles qu’il se proposait d’organiser dans les autres provinces, telle était manifestement la pensée de M. Necker. Ce fut cette pensée-là que les trois ordres s’accordèrent à trouver criminelle et punissable, et, en se plaçant au point de vue où ils se tenaient eux-mêmes, on comprend qu’elle eût à leurs yeux ce double caractère. Si M. Necker, calviniste et démocrate, ne pouvait espérer en Bretagne ni faveur ni même justice, il y a lieu de s’étonner de l’engouement soudain qu’y excita un personnage sur qui s’était accumulé durant vingt ans le poids de toutes les haines. Les passions font perdre la mémoire en même temps que la raison, et les états oublièrent avec une singulière promptitude le rôle odieux joué par M. de Calonne lors du procès de La Chalotais, pour ne plus voir dans le successeur de M. Necker que l’implacable antagoniste d’un ministre qu’ils détestaient. En s’appropriant une partie des plans de M. Necker relativement aux assemblées provinciales, Calonne avait eu soin de faire pour la Bretagne une exception éclatante. Grâce à cette concession, dont il avait fort bien calculé l’effet, il se trouva en mesure de tout demander à ce pays, qui pressentait l’heure où il aurait à défendre son existence elle-même. Tandis que dans un jour de colère les états refusaient au bon duc de Penthièvre l’avantage dont avaient joui dans tous les temps les princes gouverneurs de recommander quelques sujets pour la charge fructueuse de la députation en cour, ils portaient sans hésiter le don gratuit de 2 à 4 millions, afin d’assister le nouveau contrôleur-général dans l’œuvre de restauration financière entreprise avec une confiance destinée à être cruellement déçue.

A des abus séculaires étaient venues se joindre, pour creuser le gouffre du déficit, les dépenses provoquées de 1778 à 1783 par la guerre d’Amérique. Quoique M. Necker possédât en Europe un crédit personnel jusque-là sans exemple, les emprunts successifs auxquels il avait dû recourir pendant son premier ministère avaient ajouté aux intérêts de la dette une surcharge énorme, et les