Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noblesse d’obéir aux ordres du monarque aussi aveuglément qu’il le faisait lui-même. A chaque amputation nouvelle envoyée par les états, le commandant de la province opposait le même thème avec quelques variantes. Six années auparavant, une pareille attitude aurait mis cette noblesse en insurrection ; mais depuis le départ du duc d’Aiguillon les impressions avaient changé. La colère est journalière comme le courage, et l’horizon des esprits n’est pas moins mobile que celui des yeux. Les choses se seraient passées autrement à Rennes ou à Nantes ; dans une assemblée peu nombreuse, réunie à l’extrémité de la péninsule, cette violation d’un droit constitutionnel évident ne détermina qu’une protestation inscrite aux registres dans la séance du 25 décembre, protestation qui fut biffée par suite d’un arrêt du conseil rendu le 7 janvier suivant. Cette résolution souveraine, qui atteignait dans son essence la liberté des états, ne provoqua aucune de ces grandes scènes déterminées en d’autres temps par des actes d’une bien moindre importance. Le parlement dissous reçut donc des états un hommage stérile plutôt qu’une assistance effective. L’horizon politique changeait même en Bretagne, et l’on pouvait déjà pressentir que l’intérêt de la magistrature tiendrait une place fort secondaire dans les préoccupations et les luttes de l’avenir. Si un caprice du comte de Maurepas n’avait suggéré à Louis XVI, lors de son avènement, la pensée de relever les parlemens, dont le principal mérite aux yeux de ce ministre frivole était d’être vieux comme lui-même, un gouvernement résolu et réparateur aurait pu profiter de l’œuvre consommée par Maupeou pour assurer le succès de celle qu’allaient entreprendre si vainement l’un après l’autre M. Turgot et M. Necker ; mais le mauvais sort de la monarchie en décida autrement. En plaçant M. Turgot dans son conseil et en rappelant les parlemens, le nouveau roi annonçait des réformes qu’il se mettait dans l’impossibilité d’accomplir. Routinières par leurs idées lors même qu’elles affectaient des attitudes presque révolutionnaires, les cours souveraines hâtèrent par leur résistance aux plus utiles innovations la catastrophe dans laquelle elles s’abîmèrent avant le trône. L’infortuné Louis XVI dut consumer les seules années où le bien lui était encore possible dans une lutte stérile pour renverser la barrière qu’il avait spontanément relevée.

De tous les parlemens du royaume déjà soulevés contre le pouvoir au point d’appeler les états-généraux, plus redoutables pour eux-mêmes que pour la couronne, le parlement de Bretagne était le seul qui fût alors placé dans une situation vraie. Gardiens d’un pacte solennellement juré, ses membres défendaient contre les empiétemens ministériels des stipulations précises. Retranché derrière