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avaient récemment sollicité leur agrégation à la noblesse qu’eurent lieu les plus violens efforts pour renverser l’ancien ordre social, tant fut terrible cette révélation, que la puissance et la force appartenaient désormais aux classes avec lesquelles personne n’avait compté jusqu’alors ! En présence de cette soudaine évolution de la pensée publique, les choses changèrent tout à coup d’aspect, et les ; mots perdirent leur signification accoutumée : au lieu de défendre les droits de la Bretagne, la noblesse ne défendit plus que d’odieux privilèges ; les états, vieux palladium de la nationalité armoricaine, apparurent comme le patrimoine d’une caste spoliatrice ; le parlement lui-même, pour lequel la bourgeoisie avait livré tant de luttes généreuses, ne fut plus à ses yeux qu’une assemblée de hautains égoïstes. Le passé se vit répudié tout entier comme un obstacle à la conquête de l’avenir, et les épées, tirées en commun contre le despotisme, se croisèrent bientôt avec furie. C’est cette dernière péripétie qu’il nous reste à exposer.

En succédant au duc d’Aiguillon, le duc de Duras bénéficia pendant trois ans du calme qui suit toujours les tempêtes. La noblesse, attachant un grand prix à constater que son opposition n’avait pas effleuré sa fidélité, mit un empressement assez irréfléchi à seconder toutes les demandes que lui adressaient les commissaires du roi. Aux courts états de Saint-Brieuc, que dirigea le président Ogier, elle vota, pour ainsi dire au pas de course et à peu près sans modification, le règlement qui, après lui avoir été imposé dans la tenue précédente, avait enfin été soumis à son approbation sur la pressante insistance du nouveau commandant de la province. Heureuse et fière d’avoir obtenu la reconnaissance de son droit, la noblesse s’inquiéta peu d’en faire usage. Aux états qui suivirent, elle ne contesta aucune demande financière, voulant se montrer aussi facile sur les questions d’argent qu’elle avait paru inflexible sur les questions de principe. Cette condescendance, rencontrait cependant une limite : chaque fois que le nom du duc d’Aiguillon était prononcé, chaque fois que les actes, même les plus insignifians de son administration, étaient soumis à l’appréciation des états, la colère éclatait, pour redoubler à chaque nouveau témoignage que le duc recevait de la faveur royale. La plus ardente philippique qui soit peut-être émanée d’une assemblée délibérante est la réponse des états de Bretagne au mémoire apologétique publié par Lin guet pour l’ancien commandant de cette province, réponse dont ils ordonnèrent la distribution par milliers d’exemplaires[1]. La partie administrative de ce curieux travail manque de solidité ;

  1. Registres des états de Rennes, séance du 25 décembre 1770.