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DARWIN ET SES CRITIQUES.

qu’on nomme l’atavisme, c’est-à-dire l’apparition soudaine de caractères qui ont appartenu à des aïeux souvent fort éloignés ? La reproduction des traits propres aux ascendans directs témoigne seulement de la continuité des phénomènes organiques : l’atavisme trahit une obstination latente qui relie la suite des générations. Parmi les descendans d’Henri IV, il s’en retrouvera un après trois siècles qui sera comme le portrait du Béarnais. Assurément ces retours à un passé lointain méritent d’être signalés : ils indiquent une tendance, ils révèlent la fidélité occulte de la nature à ses desseins ; l’atavisme est une force conservatrice, mais elle ne triomphe pas éternellement de tant de forces destructives qui sont les agens de la mobilité organique. L’image des aïeux reparaît un instant comme un spectre, puis s’évanouit.

M. Faivre invoque encore à l’appui de l’immutabilité de l’espèce les lois de l’hybridation. On entend, on le sait, par hybrides les individus issus de l’union entre espèces distinctes. On nomme métis les produits de l’union entre les individus appartenant à des races distinctes de la même espèce. Dans la nature, les mariages entre espèces différentes sont très rares ; parmi les végétaux, M. Decaisne n’en admet que vingt exemples avérés. Les hybrides animaux sont encore plus exceptionnels. On a vu cependant des croisemens entre le chien et le loup, le cheval et le zèbre, le couagga et la jument, et, dans la captivité des ménageries, entre le chacal de l’Inde et celui du Sénégal, le daw et le zèbre, la tigresse et le lion. Autrefois on considérait tous les croisemens entre espèces comme frappés de stérilité. Cette opinion n’est plus aujourd’hui soutenable. Dans le monde végétal, il n’y a rien d’aussi facile ni d’aussi commun que les fécondations dans les groupes des primevères, des daturas, des nicotianes, des pétunias, des cucurbitas, des linaires. Les anciens, s’autorisant de la stérilité des mulets, hybrides de la jument et de l’âne, avaient regardé tous les hybrides sans exception comme inféconds ; mais les lois de la reproduction sont moins absolues. Quelquefois l’hybride peut être fécond avec l’un des reproducteurs ; c’est le cas des produits obtenus de l’hémione et de l’ânesse, des hybrides végétaux provenant d’espèces variées de tabacs. Il arrive aussi que les hybrides se fécondent mutuellement et se reproduisent pendant toute une série de générations. Buffon a obtenu jusqu’à quatre générations du chien et de la louve, du chacal et du chien. M. Naudin a vu deux générations hybrides chez les primevères, trois chez les tabacs, cinq chez les linaires. Sur trente-huit hybrides d’espèces qu’il a obtenus et décrits avec grand soin, neuf seulement se sont montrés revêches. La stérilité semblerait presque être l’exception, loin d’être la règle. On sait toutefois que ces ma-