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pendant triomphe parfois, il fait des races ; mais sa puissance créatrice n’est point sans limites. Les forces qui rendent si difficile la genèse spontanée des races naturelles luttent aussi contre les races artificielles. Disons-le tout de suite, le point faible où la nature les atteint, c’est la fécondité ; dès que l’espèce est ébranlée, il semble qu’il lui devienne plus difficile d’engendrer. L’impuissance la frappe. Les étalons pur sang sont ceux qui ont le moins de descendans. Toutes les races perfectionnées, poussées et comme forcées dans une direction particulière, deviennent difficiles à propager. Même phénomène parmi les végétaux. « La stérilité, écrit le botaniste Lindley, est une maladie ordinaire aux plantes cultivées. » Les variétés de fruits et de fleurs se propagent non point par des graines, mais par des moyens artificiels, boutures, greffes, et l’on sait qu’à la longue ces procédés entraînent parfois une véritable dégénérescence des races végétales.

Les races créées par l’homme ne sont pas seulement menacées de stérilité, elles ne peuvent se passer de soutiens artificiels. Rendez-les à la vie sauvage, elles perdront promptement les traits dont la domesticité les avait revêtues comme d’une livrée. Le porc retourne au sanglier ; les chiens redevenus sauvages oublient l’aboiement et creusent des terriers ; les lapins retrouvent l’habitude de fouir. Les pigeons, nichant loin des colombiers, reprennent les habitudes du biset. Une race rendue à l’état sauvage redevient-elle toutefois identique à l’espèce d’où primitivement elle est issue ? Pour le croire, il faudrait admettre que les forces peuvent se perdre dans la nature, que l’état présent ne détermine point l’état à venir, que l’hérédité peut dépouiller sa rigueur inexorable. Diverses races domestiques, rendues les unes loin des autres à l’état de nature, se métamorphoseraient en autant de races sauvages, et conserveraient toujours dans leurs traits devenus rustiques la trace de leurs dissemblances actuelles. Il est trop vrai que nos races artificielles n’ont pas grande stabilité : placées loin de leur berceau, elles se déforment et se dégradent rapidement. « Si la culture, écrit Lindley, abandonnait quelques années seulement ses soins artificiels, toutes les variétés annuelles de nos jardins disparaîtraient, et seraient remplacées par quelques formes typiques sauvages. » Sans doute, mais est-on certain que toutes ces formes sauvages auraient eu leurs identiques dans le passé ? Pense-t-on, par exemple, que les nouvelles poires sauvages qui survivraient à la culture seraient les poires sauvages qui l’ont précédée ? Est-on assuré que la nature retourne jamais à un type originel d’où elle s’est une fois écartée de gré ou de force ?

L’hérédité, dit M. Faivre, assure certainement le retour à un type ancien ; comment n’être point frappé par cet étrange phénomène