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DARWIN ET SES CRITIQUES.

sure qu’elle s’enrichit, comble de nouveaux vides dans les séries des familles animales et végétales. Elle trouve, par exemple, pour ne parler que des mammifères, une foule d’animaux, aujourd’hui disparus, qui ont des caractères mixtes, disparates, empruntés de toutes parts. Si les espèces étaient sans aucun lien, pourquoi ne pourrait-on dans le passé ressaisir des fossiles dont les caractères eussent quelque chose de plus inattendu, de plus exceptionnel ? Si jeune qu’elle soit, la science paléontologique n’a plus guère de surprises. Toutes les formes qu’elle découvre viennent prendre place comme d’elles-mêmes sur les degrés restés vides de la classification rationnelle.

Les ennemis comme les partisans de la doctrine de l’immutabilité de l’espèce reconnaissent sous le nom de races des variétés de l’espèce, constantes, perpétuées par la génération, et capables de se féconder par le croisement. La doctrine de Darwin suppose deux choses, en premier lieu que les races se forment spontanément dans la nature, en second lieu qu’elles sont indéfiniment variables. Suivant M. Faivre, rien n’est plus rare, à l’état sauvage ou de nature, que la naissance des races, des variétés. Certains naturalistes ont été jusqu’à dire qu’il n’y a point de races naturelles, que l’homme seul peut, par la domesticité, scinder une espèce en variétés. M. Faivre tire parti, à l’appui de sa thèse, de l’immense extension de certaines espèces. Le tigre royal est resté le même depuis les îles de la Sonde jusqu’au nord de la Sibérie ; les jaguars ne changent pas depuis l’équateur jusqu’au 40e degré de latitude. On trouve le même cresson de fontaine dans les eaux de Madère, des Canaries et dans celles de la Russie, du Japon. Certaines fougères, certains lichens, semblent des plantes universelles. Que conclut-on de là ? La résistance de l’espèce au changement, aux influences du milieu. Les espèces changent-elles du moins quand l’homme les transporte d’un continent à l’autre ? Parmi les plantes que l’ancien et le nouveau continent ont échangées, M. de Candolle déclare n’en pas connaître une qui, transplantée, soit devenue le point de départ d’une race nouvelle. On a de nos jours fondé des sociétés d’acclimatation ; les enthousiastes ont cru pouvoir renouveler une sorte de paradis terrestre où se retrouveraient réunies toutes les bêtes et toutes les plantes de la création. Étrange illusion ! on n’acclimate que ce qui va au climat. Qu’on essaie donc de faire vivre en Europe les singes des pays chauds ; les plantes tropicales ne viennent que sous les serres étouffantes. Les espèces transportées sur un sol, dans un air nouveaux, soustraites aux influences accoutumées, refusent souvent de se plier à de trop dures tyrannies : elles protestent contre la violence qui leur est faite, se vengent par la stérilité. L’homme ce-