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DARWIN ET SES CRITIQUES.

Les variations peuvent venir du dehors aussi bien que du dedans. Examinons quelles sont les forces externes qui agissent sur l’espèce. Il faut considérer d’abord l’influence du milieu physique. M. Faivre analyse avec grand soin les modifications que le climat, la station, exercent sur les formes végétales ; les plantes ont des formes secondaires, naines, ombreuses, faméliques, frimaires, qui témoignent de la flexibilité organique. L’influence de la température sur le pelage des animaux est bien connue. Les êtres se mettent toujours en harmonie avec la nature physique qui les enveloppe. L’art humain a tiré un merveilleux parti de la flexibilité des organismes vivans. Veut-on agir par exemple sur les végétaux, que de moyens s’offrent à l’horticulteur ! Il modifie d’abord, le pied-mère dont il veut conserver les graines de façon à le rapprocher autant que possible de l’état où il a l’espoir d’amener le jeune plant, par la culture dans un sol plus ou moins fertile, par l’ablation partielle des fleurs et des fruits, qui accumule la sève dans les fleurs ou les fruits réservés, par les gênes physiques, la torsion, la bouture, les incisions. Quelquefois la nature n’attend pas que l’homme la tourmente ; un végétal, un arbuste, est une collection d’individus. L’unité vivante est la feuille, dont la fleur et le fruit ne sont, comme Goethe l’a compris le premier, que des transformations. On conçoit dès lors que, par suite d’une tendance naturelle au polymorphisme, il se développe spontanément sur un pied des variétés nouvelles. C’est ainsi que le pin sylvestre nain et monstrueux est né fortuitement. Une branche de pin sylvestre ordinaire a été la mère de tous les représentans de cette variété. De Candolle raconte que le marronnier à fleurs doubles, aujourd’hui répandu dans toute l’Europe, naquit accidentellement sur un marronnier des environs de Genève en 1824. L’homme ne profite pas seulement des variétés fortuites ou des altérations que produit un système particulier de culture sur un pied-mère. La fécondation artificielle lui donne un moyen de créer des variétés presque à l’infini. Sa main porte le pollen où elle veut ; forcée dans ses retranchemens, la nature, docile, lui livre des fleurs doubles ou pleines, roses, renoncules, anémones, primevères, camellias, chrysanthèmes, véritables fleurs de luxe, enrichies, opulentes, nobles et souvent aussi stériles ; elle lui permet d’essayer toutes les bigarrures et les fantaisies de la couleur, les stries, les ponctuations, les panachures les plus variées. Il suffit de parcourir des serres ou une exposition d’horticulture pour voir tout ce qu’a produit l’intelligence, la patience ou l’imagination des jardiniers.

Nous ne disposons pas de moyens aussi nombreux ni aussi faciles pour ébranler l’espèce dans le règne animal. En agissant sur l’ali-