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DARWIN ET SES CRITIQUES.

l’indestructibilité de la force. L’être vivant doit être considéré comme un réservoir d’énergie où certaines fonctions trouvent leur aliment ; on ne peut donc imaginer aucune variation dans les fonctions qui n’aboutisse à une métamorphose dans les organes.

II.


Il est temps d’entrer dans le domaine plus humble de l’expérience. Il ne suffit point qu’une philosophie large et compréhensive n’ait pas d’objections à opposer à la théorie de la création continue ; il faut examiner si cette théorie soutient l’examen scientifique, si les faits recueillis par l’observation lui sont favorables ou contraires. Dans l’examen des objections purement scientifiques faites à la doctrine de Darwin, notre tâche sera facilitée par l’apparition d’un livre publié tout récemment : la Variabilité des espèces et ses limites. L’auteur, M. Faivre, professeur de botanique à la faculté de Lyon, possède une science aussi variée que profonde. Son livre, auquel on peut reprocher de manquer çà et là d’art et de proportion, a le mérite d’être un catalogue très complet et très fidèle de tous les faits qui touchent à la question de l’origine des espèces. Il est regrettable toutefois que les faits paléontologiques soient passés sous silence. Toutes les inductions de l’auteur sont tirées des phénomènes actuels, et il s’est privé des enseignemens du passé sans limites dont les couches terrestres recèlent les précieux débris. Dans l’horizon étroit où il s’est placé, il a du moins tout aperçu et tout décrit avec une minutieuse fidélité. Nous allons d’abord présenter avec détails, et sans chercher à les affaiblir, les observations et les raisonnemens par lesquels il défend sa thèse, qui est l’immutabilité des espèces ; nous nous réservons ensuite de la discuter et de conclure, après avoir mis sous les yeux du lecteur tous les élémens du débat, tel qu’il est aujourd’hui pendant entre les naturalistes, les géologues et les philosophes.

Dès le début, il se sent obligé d’agrandir la définition et les limites de l’espèce : il ne la présente plus comme une forme absolument invariable, asservie à une fixité absolue. L’espèce en effet a un polymorphisme normal et propre qui se manifeste de diverses façons. En premier lieu, les individus qui sortent de la même souche ne sont jamais identiques, ce qui se voit sur les enfans d’une même famille, sur les petits d’une même portée, sur les produits d’un même pied végétal ; tout être vivant, végétal ou animal a son idiosyncrasie, pour employer une expression des médecins, qui s’accommode avec les besoins généraux de l’espèce. En