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porté sur ce point, et c’est en désespoir de cause que les rails avaient été adoptés. Depuis l’inauguration du premier chemin de fer anglais, bien des tentatives ont échoué devant les difficultés très graves que le terrain irrégulier des chemins de terre offre aux machines. Je me souviens parfaitement d’avoir vu, il y a quelques années, une lourde locomotive portant des voyageurs marcher péniblement sur les quais de Billy et de la Conférence. Depuis la dernière exposition universelle, qui, par la seule introduction de l’acier fondu dans la pratique industrielle, apportera tant d’heureuses modifications aux voies ferrées, le problème semble résolu. On y a vu figurer une locomotive qui, remorquant des wagons chargés de personnes et de marchandises, manœuvrait avec facilité sur toute espèce de route à une vitesse moyenne de 12 kilomètres par heure, vitesse qui peut être portée jusqu’à 20 sur les terrains exceptionnellement favorables. Une expérience qui paraît décisive a eu lieu entre Marseille et Aix. La distance, — 30 kilomètres, — a été plusieurs fois franchie en quatre heures sur une route qui est sous plusieurs rapports, par ses pentes rapides, par une de ses portions couverte de pavés, par ses courbes subites, un modèle de difficultés à surmonter. Une compagnie générale de messagerie à vapeur s’est formée, a son siège à Marseille et fonctionne dès à présent. De nouveaux essais faits au bois de Boulogne ont parfaitement réussi, et ont engagé le gouvernement à concéder une ligne d’expérimentation longue de 5 kilomètres, qui doit relier le Raincy à Montfermeil.

Si, comme tout le fait supposer, ce moyen de traction est assuré, il sera d’une utilité précieuse pour nos populations agricoles, et desservira les nombreux chemins locaux que le langage administratif appelle voies de petite vicinalité. En un mot, ces messageries à vapeur seront un puissant auxiliaire pour les chemins de fer, car ils remplaceront les troisième et quatrième réseaux des voies ferrées, qu’on ne peut établir en raison des pertes certaines que la construction et l’exploitation feraient subir aux capitaux engagés. Les convois restreints remorqués par des locomotives routières, visitant les groupes les plus chétifs d’habitation, seraient pour les transports ce que les facteurs ruraux sont pour la distribution des dépêches. Il est à désirer que l’expérience s’affirme et donne raison aux prévisions de l’inventeur, car alors, avec ses grandes lignes de chemins de fer, avec les voies adjacentes du second réseau, avec la traction à vapeur sur les routes, la France sera sur tous les points en communication rapide et permanente avec elle-même.


MAXIME DU CAMP.