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En favorisant un énorme entassement d’hommes sur un point déterminé, ils donnent à la guerre une force irrésistible, mais par cela même ils en limitent la durée et la contraignent à s’épuiser elle-même en deux ou trois combats.

Les services que les compagnies de chemins de fer rendent journellement à la population et à l’état sont considérables ; cependant on est injuste envers elles, volontiers on les accuse, et, sans tenir compte des améliorations que l’expérience a indiquées et qui presque toutes ont été réalisées depuis trente ans, on ne tarit pas en plaintes. Les chemins de fer ne sont point encore parfaits, cela n’est pas douteux, et il est probable que nos enfans auront des moyens de locomotion perfectionnés que nous ne soupçonnons guère ; mais, dans l’état actuel de la science, nos rail-ways font ce qu’ils peuvent, et c’est tout ce qu’on est en droit d’exiger d’eux. On leur reproche principalement l’espèce de monopole dont ils jouissent et les accidens dont ils sont le théâtre, malgré les soins inconcevables qu’on met à leur ôter toute chance de se produire.

Le monopole des chemins de fer n’a rien d’absolu. Il vient de la perfection même de l’installation et du prix énorme qu’elle coûte. Personne ne songera jamais à établir une ligne concurrente et parallèle entre Paris et Rouen. Ce monopole, qui existe en fait beaucoup plus qu’en droit, repose sur la concession primitive ; mais cette concession a autorisé l’état à intervenir pour fixer le prix des transports, ce qui en réalité n’est pas d’un intérêt majeur. Elle lui a permis aussi, et cela est extrêmement important, de forcer les compagnies à épanouir leur réseau de manière à étendre les voies ferrées jusque dans les pays les plus éloignés et les moins populeux. Les compagnies n’ont pas à s’en plaindre, puisque les pertes d’une ligne secondaire sont amplement compensées par les bénéfices d’une ligne principale, et qu’on arrive ainsi à un intérêt normal et régulier. Paris étant le centre, c’est-à-dire le cœur, la vie est portée jusqu’aux extrémités de la France par les lignes du premier réseau, qui sont les artères, par les lignes du second, qui sont les veines, par les routes communiquant à la voie ferrée, qui sont les vaisseaux capillaires. De cette façon, la circulation est complète et vivifie toutes les parties du pays. C’est là un bienfait dont il faut tenir un grand compte et qui fait de nos chemins de fer une institution absolument démocratique. En ce sens, l’intervention de l’état a été féconde et excellente. En Angleterre, où l’industrie privée a été seule chargée de la construction des rail-ways, il n’en est point ainsi. Les compagnies en ont dirigé le tracé comme elles l’ont voulu ; guidées par leur seul intérêt, elles ont recherché avant tout ce qui pouvait leur procurer de grands gains matériels ; elles ont relié entre eux les grands centres, les centres riches, industriels,