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puissance de ces engins ; mais on ménage les locomotives exactement comme un bon cavalier ménage son cheval, et jamais, à moins de circonstances exceptionnelles, on ne leur demande un service qui ne soit bien au-dessous de leur force. Dès que la locomotive a terminé sa route, elle est ramenée au dépôt et livrée aux soins d’hommes qu’on pourrait appeler ses palefreniers et qui sont chargés de la nettoyer. Le travail que nécessite la mise en état d’une locomotive qui a parcouru sa distance réglementaire dure au moins deux jours et occupe deux hommes. Chaque écrou, chaque vis, chaque tube de la chaudière est visité. Selon M. Jules Gaudry[1], une locomotive est en moyenne composée de quatre mille pièces différentes ; or on peut affirmer qu’après un pansage complet chacune de ces pièces a été examinée, fourbie et huilée. Aussi, quand une machine sort des mains de ces hommes, elle est nette, reluisante et polie. Il faut trois heures pour mettre une locomotive en train, c’est-à-dire pour lui donner le degré de chaleur qui, développant sa puissance, la rend propre à être attelée aux wagons et à commencer sa route. Dans les cas extrêmes, qui se présentent très rarement, on peut, en allumant le foyer avec du bois, en promenant la machine sur la voie de façon à activer le tirage, arriver au même résultat en une heure et demie. Cela s’appelle pousser le feu. La locomotive, tout allumée, est remise au mécanicien, qui ne l’accepte qu’après avoir vérifié par lui-même qu’elle est en bon état et propre au service exigé.

Il est un des organes de la locomotive qu’on examine toujours avec soin avant le départ, c’est le chasse-pierres. Il se compose de deux bandes de fer légèrement concaves, terminées par deux fortes dents recourbées rasant les rails sans les toucher, de manière à rejeter tout obstacle qui pourrait les encombrer. Cet Instrument fort simple a rendu d’immenses services et a sauvé bien des convois en repoussant loin du train lancé à toute rapidité les poutres et les pavés que de sinistres farceurs s’amusent à mettre sur le parcours afin de jouir du spectacle d’un convoi déraillé. En Amérique, le chasse-pierres est remplacé par le chasse-bœufs. Là en effet, la voie ferrée n’étant point garantie par des balustrades où des passages à niveau s’ouvrent à distance déterminée, les bestiaux qui paissent dans les prairies viennent souvent se coucher en travers des rails ; un engin fait en forme de grille convexe, très solide et membre de fortes barres de fer, enlève les animaux et les rejette au-delà du tracé.

Les locomotives dont on se sert en France sont excellentes. Qu’elles soient, pour les trains de voyageurs, d’après le système

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1863 et du 15 juin 1864.