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ressemblaient aux voitures dont elles portaient les noms ; sur l’impériale, on entassait les bagages, pour lesquels on n’avait pas encore inventé de fourgons spéciaux ; les berlines ouvertes et les wagons garnis étaient plus ou moins rembourrés, n’avaient point de murailles, mais étaient latéralement protégés par des filets à larges mailles qui donnaient passage à d’insupportables courans d’air ; quant aux wagons non garnis, il faut les avoir vus pour imaginer qu’on ait osé offrir de tels tombereaux à des voyageurs. Ils représentaient de grandes auges meublées de bancs en bois, sans plafond et sans côtés ; on y était absolument en plein air. Il ne fallut rien moins qu’une campagne vertement menée par les journaux pour faire abandonner ce moyen de transport inhumain, qui céda la place à ce que l’on nomme aujourd’hui les troisièmes. On était tellement en garde contre les imprudences et les enfantillages du public parisien, que toute voiture était fermée à clé, et qu’il était impossible d’en sortir sans l’intervention d’un des employés chargés d’accompagner le train. Cette prétendue mesure de sécurité eut d’épouvantables conséquences, ainsi que j’aurai à le raconter plus loin. La force motrice de l’exploitation était composée de douze locomotives. représentant ensemble une puissance de 360 chevaux. Il y avait sept départs de Paris pour le Pecq et huit du Pecq pour Paris ; c’était donc un total de quinze convois circulant dans la gare de la place de l’Europe. A Batignoles, on avait construit une gare destinée aux marchandises ; on en admirait dans ce temps-là les vastes proportions ; elle avait 250 mètres de long sur 100 mètres de large.

La gare du chemin de fer de Saint-Germain a fait comme ces cactus dont les feuilles, poussant successivement l’une sur l’autre, finissent par devenir un arbre énorme. Aujourd’hui, ouverte sur la rue Saint-Lazare, bordée par la rue de Rome, le pont de l’Europe, la rue de Londres, la rue d’Amsterdam, elle couvre une superficie de 11 hectares ; elle est la tête d’un réseau qui se développe déjà sur une étendue de 2,054 kilomètres. L’exploitation possède 630 locomotives et 13,686 voitures de toute espèce ; en 1866, elle a transporté 22,122,224 voyageurs, dont 14,140,025 pour la seule banlieue de Paris, et son personnel classé se compose de 12,572 agens. Le nombre de trains que la gare expédie et reçoit est énorme : le 2 juin 1867, il s’est élevé au chiffre invraisemblable de 475 ; il faut dire que ce jour-là les préposés aux guichets ont délivré 159,742 billets pour la banlieue. Ainsi qu’on le voit, le public s’est familiarisé avec cette façon de voyager ; il y a trente ans cependant, bien des gens croyaient faire acte de courage en allant de Paris au Pecq en chemin de fer. Quant au mouvement que les voies ferrées ont imprimé aux habitudes sédentaires des Parisiens, on l’appréciera