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suite à se préoccuper que de la manœuvre. Cette force du vent, variable, il est vrai, dans son intensité, mais variable à un même degré pour tous les navires, est remplacée aujourd’hui par la puissance motrice des appareils à vapeur. C’est donc cette puissance qu’il s’est agi d’équilibrer pour tous d’une façon pour ainsi dire parallèle, et de subordonner à la puissance motrice du vaisseau amiral. Là est le premier but que se propose la nouvelle tactique. Le second est la règle générale d’évolutions. Jusqu’à présent, en dehors de la conversion par le flanc et de la contre-marche, où chaque navire suit celui qui le précède, mouvemens empruntés à la vieille tactique, on semblait s’en être tenu comme progrès à l’évolution de la chasse du poste, c’est-à-dire que, une fois le signal de l’évolution arboré, chaque vaisseau se dirigeait à son gré ou plutôt à ses risques et périls sur le nouveau poste qu’il devait occuper. On comprend ce qu’une telle manœuvre, la meilleure de toutes en théorie pour des navires admirablement exercés, présente d’indécision et de danger dans la pratique avec l’entraînement de masse et de vitesse de nos vaisseaux cuirassés. Une erreur de coup d’œil, un ordre mal exécuté, le désir même de bien faire, peuvent déterminer les plus funestes conséquences. Là plus que jamais le besoin de la règle et de la méthode se fait sentir ; mais à la mer l’imprévu surgit si subitement qu’il faut laisser aux capitaines une initiative très réelle même dans l’obéissance. La méthode par file en gisement de l’amiral de Gueydon est le point capital de la tactique navale, telle que l’auteur voudrait la voir comprise aujourd’hui. L’angle d’obliquité et la vitesse à prendre sont signalés en même temps que l’ordre d’évoluer. Les vaisseaux, pour passer d’un ordre à un autre, partent donc sur des lignes obliques parallèles, et arrivent successivement à l’alignement que donne le vaisseau amiral. C’est réunir à la fois la simultanéité, qui est une condition de rapidité, et le mouvement successif, qui est une garantie de bonne exécution. Cette méthode s’applique également au peloton d’escadre, qui est l’ordre de guerre. Le peloton d’escadre, envisagé comme unité, se compose de trois vaisseaux, un en tête et les deux autres en arrière, mais par la hanche du premier, à droite et à gauche, de manière que chacun de ces deux vaisseaux puisse, en augmentant sa vitesse, éventrer de son éperon le vaisseau ennemi qui arriverait perpendiculairement sur le vaisseau de tête.

Telle est la tactique ingénieuse et simple qu’inaugure l’amiral de Gueydon, et qui se défend avec raison d’être systématique. Elle libelle tout ce que la méthode peut produire pour alléger la tâche des capitaines dans la tenue de leurs postes et les grouper, à un moment donné et dans une disposition voulue, autour de leur chef. Une tactique, selon l’expression juste de l’auteur, ne saurait aller au-delà de cette limite, et c’est des événemens seuls qu’elle reçoit plus tard sa consécration.


L. BULOZ.