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et en Angleterre. Elle doubla presque le rendement des moteurs hydrauliques et permit d’obtenir des effets extraordinaires ; certaines roues Poncelet ont une force de cent chevaux.

Malgré ces travaux pratiques, et quoiqu’il remplît toujours scrupuleusement ses devoirs d’ingénieur militaire, M. Poncelet trouva assez de loisirs pour coordonner et pour perfectionner ses recherches de géométrie ébauchées à Saratof. Après en avoir publié quelques fragmens dans divers recueils, il put enfin faire paraître en 1822 le premier volume de son Traité des propriétés projectives, ouvrage qui fit une grande sensation. Peu de temps après, il lut à l’Académie des Sciences deux mémoires dans lesquels il présenta l’application et le développement des théories contenues dans cet ouvrage, mais qui ne furent publiés qu’en 1828 dans le Journal mathématique de Berlin[1]. Contrairement à ce qu’on aurait dû espérer, les découvertes dont M. Poncelet venait d’enrichir la science devinrent pour lui une source de déceptions et de discussions incessantes et pénibles. Sa probité excessive l’avait entraîné à effacer sa personnalité un peu plus qu’il n’était et qu’il n’est malheureusement d’usage parmi les savans ; loin de faire ressortir ses propres mérites, il avait présenté sous le jour le plus favorable celui de ses prédécesseurs, et cette modestie inusitée avait encouragé l’injustice ; on se partageait un bien si peu défendu ! M. Poncelet s’en aperçut trop tard, et eut, jusqu’à la fin de ses jours, à soutenir des polémiques dans lesquelles il poussa lui-même peut-être trop loin l’esprit de récrimination. En outre certains principes qu’il avait avancés étaient contestés par des géomètres d’un tempérament scientifique trop différent du sien pour l’apprécier à sa juste valeur, et il s’exagérait les sentimens d’hostilité dont il les supposait animés à son égard. A l’entendre, ses théories étaient traitées de « géométrie romantique » et tournées en ridicule, tandis qu’en réalité elles faisaient leur chemin et s’introduisaient peu à peu dans l’enseignement.

Quoi qu’il en soit, Arago, alors examinateur de l’école d’application de Metz et peu enclin de sa nature à encourager des recherches de spéculation pure, cherchait à pousser le jeune géomètre dans une autre voie. Il le fit attacher comme professeur à l’école d’application, où on le chargea de créer un cours sur le travail des machines. Ce cours, fait à un point de vue éminemment pratique, a rendu aux deux armes de

  1. Ce n’est qu’en 1865, après un intervalle de quarante-trois ans, que le général Poncelet a pu faire paraître une nouvelle édition de son Traité des propriétés projectives des figures, en deux gros volumes in-4o. Le second volume renferme sa théorie des centres de moyenne harmonique et celle des polaires réciproques, qui a donné naissance au fameux principe de dualité. Les manuscrits, composés de 1813 à 1820, et qui renferment les élémens ou les germes de ces théories, ont été publiés en 1862 et 1864 ; ils forment le premier volume de l’ouvrage intitulé Applications d’analyse et de géométrie.