Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/1053

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au mois de juin de cette même année 1812, le jeune lieutenant du génie partit avec la grande armée pour la désastreuse campagne de Russie. Le 18 août, il fit la reconnaissance militaire de Smolensk. sous le feu de la place et assista à la bataille qui se livra le même jour. Le lendemain, il fut détaché pour l’établissement des ponts qui furent construits sur le Dnieper, au-dessous de Smolensk, malgré le feu incessant des batteries russes postées sur les hauteurs de la rive opposée. En cette circonstance, il fit preuve de tant de sang-froid et de circonspection que ses camarades plus anciens lui laissèrent en quelque sorte la direction des opérations, qu’il conduisit à bonne fin en trompant l’ennemi par des préparatifs simulés. Pendant plusieurs mois, il fut chargé de la construction des redoutes et blockhaus sur la route de Smolensk à Moscou, et la bravoure calme et réfléchie qu’il déploya en toute occasion ne se démentit pas lors de la retraite. Au sanglant et dernier combat qui fut livré le 18 novembre à Krasnoï par le corps d’armée du maréchal Ney contre le prince Miloradovitch, il chargea à la tête d’une colonne de sapeurs et de mineurs les batteries russes dont le feu enfilait et croisait la grande route. Après avoir été exposées pendant plus d’une demi-heure à un effroyable feu de mitraille, les troupes furent obligées de se jeter dans un ravin, où l’épais brouillard leur permit de se reformer en colonne serrée ; trompées par de faux rapports, elles regagnèrent la grande route, furent une seconde fois décimées par les obus en marchant sur les retranchemens russes, et durent dans la nuit se rendre par capitulation. Le lieutenant Poncelet, qui avait eu son cheval tué sous lui, fut conduit au quartier-général du prince Miloradovitch ; n’ayant pu obtenir de lui les renseignemens que l’on désirait avoir, on l’envoya dans les prisons de Saratof, sur les rives du Volga. Il y arrivait après quatre mois d’une marche pénible à travers les neiges. On se figure sans peine les souffrances qu’il eut à endurer pendant ce trajet, qu’il fit à pied, vêtu seulement des lambeaux d’un uniforme français, mangeant le pain noir des paysans russes dans cet hiver exceptionnel de 1812, pendant lequel le froid fit plusieurs fois geler le mercure des thermomètres.

Parvenu au terme de ce triste voyage grâce à l’énergie physique et morale dont la nature l’avait doué, il paya cependant son tribut à tant de rudes épreuves. Il tomba malade et ne se rétablit que lentement sous l’influence bienfaisante du soleil d’avril. Les prisonniers étaient traités durement. Parqués par chambrées de quatre dans de mauvais réduits, privés de secours matériels aussi bien que de toute espèce de ressources morales ou scientifiques, ils eurent à endurer des humiliations plus amères que leurs souffrances physiques. Avec un caractère moins fier, moins indépendant, M. Poncelet aurait pu, comme plusieurs de ses compagnons, se procurer un bien-être relatif en mettant à profit ses connaissances en mathématiques ; mais il lui répugnait de faire cette sorte de compromis avec ses sentimens de patriotisme. Tout en trouvant qu’il