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établissement religieux, l’abandonne en partie dans un sentiment de justice et de politique.

Qu’on ne s’y trompe pas, cette séparation peut se proportionner aux circonstances, aux pays dans lesquels elle s’accomplit, elle ne se fait pas moins par degrés. On pourrait dire que c’est l’œuvre du temps présent, et sous ce rapport ce qui se passe à Vienne n’est pas moins frappant que ce qui se passe à Londres. En Angleterre, c’est l’église protestante qui cède volontairement le terrain ; en Autriche, c’est l’église catholique qui cède aussi le terrain, mais non de bonne volonté ; elle est débordée par un mouvement de plus en plus pressant, de plus en plus irrésistible, dont le mot d’ordre est l’abolition du concordat de 1855. Or qu’est-ce que le concordat de 1855 ? C’est la constitution de l’église catholique comme église privilégiée, étendant sa juridiction sur la société civile, sur la science, sur l’enseignement. Qu’est-ce que le mouvement qui s’accomplit aujourd’hui en Autriche ? C’est l’émancipation méthodique, coordonnée de la société civile, affirmant sous toutes les formes son indépendance en face de l’église, renfermée dans son domaine strictement religieux. Depuis quelque temps déjà, le parlement autrichien en est à élaborer les lois dont l’ensemble résume ce travail d’affranchissement de l’état laïque. Il a débattu et voté la loi sur le mariage civil. Il discute aujourd’hui la loi sur l’enseignement. Il prépare la loi sur la liberté des cultes, et il marche dans cette voie d’un pas très ferme, quoique très mesuré, sans reculer et sans faiblir. Ces débats des chambres de Vienne sont assurément dignes des plus vieux parlemens, et, à voir la spontanéité, la vivacité avec lesquelles la population s’associe aux travaux de ses représentans, on peut croire que c’est là réellement une œuvre répondant à une grande nécessité publique. Est-ce à dire que ce travail de réforme intérieure s’accomplisse sans difficulté ? Bien au contraire, il se déroule au milieu de toutes les résistances coalisées, qui trouvent naturellement leurs chefs parmi les prélats autrichiens. Il y a peu de jours encore, l’archevêque de Vienne, M. Rauscher, adressait en son nom et au nom de quatorze de ses collègues de l’épiscopat une sorte de protestation au président du conseil. Le prince Auersperg a répondu de la façon la plus nette en traçant les limites entre les droits de l’état et les droits de l’église. Il restera cependant quelque incertitude tant que les lois nouvelles ne seront pas sanctionnées, et maintenant c’est autour de l’empereur François-Joseph que s’agitent toutes les intrigues de cour, toutes les velléités réactionnaires. On a imaginé récemment de publier une lettre que le pape aurait adressée à l’empereur François-Joseph. L’aimable et inflexible pontife traite la « majesté apostolique » en fille passablement égarée. Cette lettre paraît être une simple invention ; mais certainement Pie IX a pensé tout ce qu’on lui fait dire, et, sans avoir besoin de tels avertissemens, il est probable que l’esprit de l’empereur