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le moment. C’est donc dans une situation légèrement amoindrie et en face d’un redoutable adversaire que M. Disraeli a désormais à manœuvrer pour éviter quelque échec qui deviendrait meurtrier. Après les vacances de Pâques, un nouveau débat doit s’ouvrir, et d’ici là M. Disraeli aura réussi sans doute à se tirer d’affaire. Qui sait ? peut-être même prendra-t-il à son puissant antagoniste une partie de sa motion, comme il a déjà pris à ses adversaires quelques-unes des dispositions du bill de réforme. Ce n’est là du reste que le côté secondaire de la question soulevée par M. Gladstone. Le ministère tory restera-t-il ou battra-t-il en retraite ? Le principe de l’église établie d’Irlande est fini, ce n’est plus qu’une affaire de temps, et c’est de plus la victoire d’une idée juste autant que politique et prévoyante, qui ne désarmera pas le fenianisme, parce que le fenianisme s’inquiète assez peu de religion et de catholicisme, mais qui lui enlèvera plus d’un soldat. C’était assurément un spectacle étrange que celui d’une église protestante privilégiée, ayant toute la force d’une institution d’état, richement dotée, au milieu d’un pays affamé et catholique. Si les églises privilégiées sont possibles ; c’est tout au plus là où elles répondent à une foi religieuse à peu près universelle ; elles ne représentent qu’une iniquité révoltante là où elles sont une minorité dominatrice ; elles forment une « garnison civile, » comme on a appelé l’église d’Irlande ; Qu’on remarque cependant tout ce que la pensée d’une telle réforme devait remuer de fibres nationales et religieuses. C’était, disait-on, une violation de l’acte d’union des deux royaumes. C’était surtout une première atteinte, une menace pour les églises mêmes d’Angleterre et d’Ecosse. Les défenseurs de la motion n’ont pas eu de peine à montrer que l’acte d’union pouvait très bien être réformé, que l’église protestante avait une raison d’être en Angleterre, qu’elle n’en avait aucune en Irlande ; et qu’au lieu de s’affaiblir par un acte de prévoyante justice, elle se fortifiait au contraire là où elle s’identifie réellement avec la vie nationale. Vainement M. Disraeli a essayé de faire appel à toutes les passions nationales en représentant le principe de la religion d’état comme essentiellement lié à la constitution anglaise en laissant entrevoir les empiétemens de l’église romaine, l’alliance du papisme et de tous les ennemis du gouvernement ; il n’a pas réussi à convaincre ou à effrayer le parlement, et ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est que le vote de la chambre des communes, qui n’a rien de définitif encore, il est vrai, mais sur lequel il sera difficile de revenir, a répondu évidemment à un sentiment populaire assez général. Nous ne nous méprenons pas sur le caractère de cette motion : elle a une portée restreinte et définie ; elle ne s’applique qu’à l’Irlande. Ce n’est pas moins le signe du progrès que font les idées de liberté, d’indépendance, dans les rapports de l’église et de l’était, puisque l’Angleterre elle-même, si fortement attachée jusqu’ici au principe de son