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Et cette ambiguïté qui a été le mal de notre politique extérieure, qui, faute d’un contrôle suffisant, a pu se prolonger à travers une série d’événemens décisifs pour la puissance française, cette ambiguïté, elle n’est pas moins visible dans la politique intérieure. Ici apparaît un spectacle véritablement étrange, celui d’un gouvernement omnipotent essayant de se faire libéral, sans doute parce qu’il croit répondre à une grande nécessité publique, et rencontrant pour la première fois autour de lui une résistance par laquelle il a l’air d’être tenu en échec. Lorsque l’empereur, dans sa lettre, du 19 janvier 1867 à M. le ministre d’état, traçait tout un programme flatteur ; promettant pour la presse des franchises nouvelles ou tout au moins l’abolition du régime discrétionnaire et l’extension du droit de réunion, il faisait un acte de libéralisme aussi prévoyant que réfléchi. Cet acte, il l’accomplissait avec une spontanéité qu’il faut reconnaître, probablement avec cette idée que le temps était venu pour l’empire de chercher une force nouvelle dans un contrôle plus efficace et dans une discussion moins surveillée.

N’y avait-il aucune autre pensée dans une telle mesure venant à un tel moment ? L’auteur de la lettre du 19 janvier, sans se l’avouer peut-être ; n’était-il pas préoccupé de donner à la France, par une extension de liberté intérieure, comme un dédommagement des déboires qu’elle venait d’essuyer dans sa politique extérieure ? N’avait-il pas en vue déjà les complications prochaines de l’affaire du Luxembourg, ces complications où l’opinion pouvait être une utile et vaillante auxiliaire ? Quand cela serait, peu importerait encore ; toujours est-il que l’acte existait, qu’une impulsion était donnée. Quinze mois se sont écoulés, et le manifeste impérial en est encore à devenir une réalité ; il a passé par toutes les phases de préparation, de délibération et d’ajournement. Or une réflexion bien simple vient à l’esprit : si l’empereur, au lieu de promettre une certaine liberté de la presse, une certaine liberté de réunion, eût présenté quelque mesure d’ordre public, quelque loi de sûreté générale, eût-on pris quinze mois pour réfléchir et pour délibérer avant de faire honneur à l’initiative souveraine ? Nous nous hasardons à penser qu’aussitôt et d’urgence on eût volé au secours du principe d’autorité en péril. La liberté peut attendre, elle est faite pour patienter, et voilà comment les meilleures inspirations risquent souvent de perdre leur prix en s’énervant dans une exécution décousue, poursuivie avec peu de loi et de bonne humeur.

Enfin la discussion est venue, et des débats instructifs, éloquens, presque dramatiques par instans, qui ont eu lieu au corps législatif sont sorties les deux lois qui assurent à la presse un régime nouveau, et qui règlent le droit de réunion publique. Ces lois, il ne faut pas le méconnaître, sont un progrès, puisque l’une délivre la presse de la juridiction administrative, et que l’autre reconnaît jusqu’à un certain point le droit