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sont propres, la science a pour première condition de les constater. Les institutions qui règlent la marche de l’humanité sont ce qu’elles sont ; l’homme de science, les prenant pour objet de son étude, s’efforce de les comprendre et d’en découvrir la loi. Il faut donc poser le problème général dans les termes où il se pose de lui-même. D’une part les religions ou, pour mieux dire, les hommes qui les ont adoptées, prétendent à l’originalité plus ou moins absolue des doctrines ; de l’autre la science, c’est-à-dire les savans, parmi lesquels on compte des hommes d’une religion très éclairée, voient que les doctrines naissent les unes des autres ou plutôt qu’elles ne sont à elles toutes qu’une seule et même doctrine apparaissant sous des faces et dans des conditions toujours renouvelées. À moins de fermer les yeux au jour et de s’aveugler soi-même, on peut bien admettre qu’une science sincère puisse conduire à la vérité en ces matières plus sûrement que l’absence de toute recherche, et qu’une conclusion appuyée sur une bonne méthode et sur des faits reconnus soit préférable à une affirmation pure et simple.

Le problème religieux présentait donc cette alternative : les religions sont-elles l’œuvre immédiate, volontaire, réfléchie d’une puissance cachée qui les donne en présent aux hommes à certains momens de leur histoire, les produisant au jour comme des apparitions magiques et par des coups de théâtre inattendus, ou bien sont-elles les productions spontanées des forces ordinaires de la nature, qui, agissant à longues périodes, mais dans des conditions qu’il est possible de déterminer, se manifestent par des phases successives ? Dans le premier cas, il n’y a aucune raison sérieuse d’attaquer une religion quelconque et de considérer l’une plutôt que l’autre comme une œuvre de l’esprit du mal. L’intolérance des religions entre elles devient condamnable à tous les points de vue, puisque les hommes sont tous également enfans de Dieu et qu’il est contraire aux plus simples et aux plus justes sentimens naturels qu’un père veuille le malheur de ses fils. Il faut dès lors admettre avec les plus intelligens brahmanes de l’Inde que chaque religion est faite pour ceux qui la suivent, que toutes sont l’ouvrage d’un être bienfaisant, et qu’ainsi l’histoire de l’humanité, dans sa partie la plus profonde, procède par une suite de miracles divins. Dans l’autre cas, ces actions soudaines d’une puissance insaisissable disparaissent ; Dieu cesse de refaire continuellement son œuvre ou de la réparer. Il est regardé non plus comme la cause efficiente, mais comme la cause formelle des religions ; au lieu d’être l’ouvrier, il est le modèle ; le véritable ouvrier, c’est l’homme : le même qui bâtit les temples, dresse les autels, institue les cérémonies, offre les sacrifices, compose les prières et les récite de sa bouche au