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manifeste clairement. Au point où l’on est parvenu aujourd’hui, le doute à cet égard a totalement disparu.

Le lecteur ne doit pas non plus oublier que plus on avance dans l’étude des vieilles religions germaniques et Scandinaves et des traditions populaires encore répandues sur toute la surface de l’Europe, plus on voit apparaître les liens qui les rattachent à l’Asie. Les religions qui se sont succédé dans les contrées occidentales n’ont pas fait disparaître ces légendes de la race aryenne. On en a découvert un grand nombre en Allemagne ; il en existe en France qu’il serait temps de rassembler. Il est même probable que toutes les grandes montagnes de notre continent en ont conservé dans leurs gorges profondes avec des débris des anciennes langues, et qu’il serait possible encore de les recueillir. La Grèce aussi, malgré la longue durée des cultes païens et l’énergie de ses croyances chrétiennes, garde et redit dans ses chants populaires des légendes qui remontent peut-être au-delà des temps helléniques, et se rapportent selon toute apparence aux premières migrations aryennes venues d’Asie[1]. Les montagnes qui coupent l’Europe de l’est à l’ouest paraissent en conserver des plus curieuses et des plus significatives[2]. Il serait utile de les réunir en un seul corps, comme les archéologues réunissent des médailles ou des inscriptions. On aurait à la surface du monde actuel un ensemble de points de repère et de jalons qui permettrait de tracer la carte des plus antiques migrations aryennes et de suivre la marche de nos idées religieuses depuis leur berceau. Quoi qu’il en doive être, il n’est plus douteux aujourd’hui que cette diffusion s’est produite à une époque reculée, et que tous ces vieux cultes appartiennent, aussi bien que ceux de la Grèce, de l’Italie, de la Perse et de l’Inde, à un même système ou plutôt à une même unité primordiale.

Les doctrines judaïques, laissées à part jusqu’à nos jours, semblaient appartenir à un autre ordre d’idées et de faits. Les savans qui s’occupaient des choses de l’Asie trouvaient dans l’Inde et dans la Perse une matière assez abondante pour absorber tout leur temps

  1. Telle est, par exemple, la légende de Charos dont le nom (qui doit se prononcer Caros) parait si souvent dans les chants populaires de la Grèce. Ce Charos est le dieu de la mort ; on l’a confondu et on le confond encore avec Charon, que presque aucun de ses traits ne rappelle, tandis qu’ils rappellent presque tous le Kâla des Indiens. Si l’identité de Charos et de Kâla est réelle, la légende grecque doit remonter à la plus haute antiquité.
  2. Si la découverte de chants orphiques dans l’Hémus, annoncée par M. Verkovitch, se confirme, elle aura la plus grande valeur, puisque ce chant ne constaterait pas seulement l’existence de la légende d’Orphée aux lieux où les Grecs plaçaient son histoire, mais donnerait un spécimen d’une langue aryenne antérieure à la langue grecque et conservée dans les montagnes de la Thrace.