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d’idées que nous appelons l’attention des lecteurs de la Revue, en leur faisant observer qu’il résulte d’une masse déjà très grande de travaux d’érudition dont le nombre va croissant de jour en jour. Ces travaux se rapportent à des sujets de nature fort différente : les uns appartiennent à l’histoire, d’autres à la linguistique, d’autres à l’archéologie, à la science même ou à l’art. En effet, les idées religieuses d’un peuple marquent comme d’un sceau presque tous les produits de sa civilisation, et l’empreinte qui en reste varie elle-même suivant les périodes et les crises qu’il a traversées. Nous, qui venons à la fin des temps, nous avons sous les yeux la multitude innombrable de débris dont le séjour de l’homme et son histoire sont jonchés, débris de livres, — débris de monumens, de traditions, de langues, de rites sacrés et d’institutions, que nous reconstituons en idée comme un anatomiste refait avec quelques os un animal entier, ou comme un architecte habile restaure sur le papier un temple dont il a mesuré les restes. La variété infinie des ruines qu’ont laissées après elles les religions a déjà suscité en Europe un nombre de travaux dont on ne se fait qu’une imparfaite idée. Pris à part, ils semblent se perdre de plus en plus dans les détails des faits ; rapprochés, ils s’éclairent entre eux, se complètent les uns les autres, et tendent à former cet ensemble d’où peut sortir enfin la notion fondamentale de la science et avec elle la solution du problème. Nous allons essayer d’exposer ici cette notion première, telle qu’elle résulte, non d’hypothèses plus ou moins ingénieuses, comme on en faisait au siècle dernier, mais des faits positifs que l’érudition contemporaine a constatés. Nous pensons qu’une fois mise en lumière cette idée, qui a jusqu’à ce jour animé toutes les grandes religions, pourra servir à son tour de point de départ pour des recherches nouvelles et de guide pour ceux qui voudront les réaliser.


I

L’examen séparé d’une religion prise au hasard nous la montre s’isolant de toutes les autres et affirmant son autochthonie ou tout au moins son originalité. Cette affirmation est le plus souvent absolue. Quelquefois cependant une religion consent à se rattacher à une religion antérieure ; mais ce n’est que sous certaines conditions et même à titre onéreux. Ces conditions sont telles que la religion qui a précédé n’est plus considérée que comme une préparation et un travail de déblaiement destiné à nettoyer le sol où doit s’élever l’édifice définitif. Ainsi la religion chrétienne ne se considère pas comme issue du judaïsme, mais elle regarde l’ancienne