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II

On a dit qu’un peu plus tôt, un peu plus tard, il faut se mettre en règle avec la théologie, et que le mieux est de commencer par là. Lessing en a jugé autrement : il a fini par la théologie ; mais elle n’a point assombri ses dernières années, elle n’a pu triompher de sa gaîté. Avec la Dramaturgie et Nathan, ses écrits de polémique religieuse sont parmi ses ouvrages ceux qu’estime le plus l’Allemagne contemporaine. Malheureusement ce ne sont pas les plus faciles à interpréter ; ils offrent une belle matière aux gloses des commentateurs. Non que Lessing ne soit toujours clair ; il dit admirablement tout ce qu’il veut dire, mais il ne dit pas toujours tout ce qu’il pense, et le temps où il vivait n’offrait pas aux libertés de la pensée et de la plume toutes les garanties désirables. Sa controverse avec le pasteur Goetze a été la source de bien des controverses. Les Allemands, qui ont tant d’excellentes qualités, ont le petit défaut de réviser les vieux procès avec autant de passion qu’ils plaident le procès du jour ; ni la fuite des années, ni la poussière des dossiers vermoulus ne peuvent refroidir leur véhémence ; qu’il s’agisse de Louvois ou de Napoléon, leurs haines possèdent le don d’éternelle jeunesse. Henri Heine parle d’un étudiant teuton ou marcoman de sa connaissance, lequel grillait d’en découdre avec les Français parce qu’il avait à venger, disait-il, le supplice de Conradin, méchamment mis à mort par Charles d’Anjou en l’an de grâce 1268. A la pensée de ce noir attentat, l’écume lui venait à la bouche. Les théologiens allemands qui se sont occupés de Goetze se fâchent encore tout rouge contre les ossemens desséchés du virulent Tertullien de Hambourg. Paix à sa cendre ! ses foudres sont depuis longtemps éteints. Il est vrai qu’en revanche il a trouvé de bons amis, de chauds défenseurs qui ont réhabilité sa mémoire[1], comme on a réhabilité chez nous Nonotte et Patouillet. Cela s’appelle en Allemagne eine Rettung, un sauvetage.

Une chose est certaine : le nom de Goetze a vécu grâce à Lessing. Faut-il l’en féliciter ou l’en plaindre ? De son vivant, le digne pasteur de Hambourg ne craignait pas le bruit, et il eût volontiers acheté un peu de gloire au prix de beaucoup d’injures. Ses mânes doivent être contens ; c’est l’histoire du héros de Voltaire : fouetté, mais content. L’écrivain charmant que je citais tout à l’heure a

  1. Herzog’s Real-Encyclopédie für protestantische, Theologie und Kirche, vol. V, 1856, article de M. K. Sudhoff sur Goetze. — Röpe, Johan Melchior Goetze, eine Rettung, Hamburg 1800.