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domination. Notre présence rassure ainsi non-seulement les indigènes, mais encore toutes les nations de l’Europe, dont les navires viennent à Saigon charger les riz de ces contrées, où il y a deux récoltes par an.

L’augmentation certaine de recettes que produiront le défrichement des terres, la culture des produits coloniaux, principalement celle du riz, en se basant sur le maintien de l’impôt actuel, qui est d’un dixième du revenu, permet donc d’estimer que la Basse-Cochinchine doit rapporter dans dix ans environ 15 millions de francs, sans faire entrer dans ce calcul la valeur des corvées, estimée à 2 millions. Les revenus indirects, l’exploitation des forêts, la plantation des cannes à sucre, la culture et l’exportation du coton du Cambodge, viendront plus tard augmenter ces ressources locales ; mais, en fait de prévisions de budget, il est plus sage de compter sur les revenus qui tiennent à la nature et aux habitudes du pays que de s’appuyer sur des productions qui demandent des capitaux européens pour prospérer et grandir. Une guerre ou un manque de confiance peut trop facilement détruire les plus belles espérances.

Ainsi, en admettant même que notre situation à Saïgon nous défende de réduire l’effectif de la garnison, de diminuer le nombre des bâtimens armés, les dépenses ne peuvent augmenter, tandis que les revenus tendent vers un maximum de 15 millions autour duquel ils oscillent en plus ou en moins jusqu’à ce qu’un nouvel élément de richesse s’introduise ou que l’assiette de l’impôt change. Il n’appartient en effet qu’aux événemens, à l’expérience de quelques années peut-être, de montrer jusqu’où pourra descendre le chiffre des soldats blancs et des navires nécessaires à la défense de notre territoire contre les agressions étrangères ; mais il est admis en principe par nos voisins anglais et hollandais que dans les contrées tropicales le soldat et le marin européens ne doivent être que l’exception et former le noyau d’une armée composée en majeure partie d’indigènes. C’est une question d’humanité aussi bien qu’une question d’argent. Un peuple d’Asiatiques, une fois soumis, se garde bien mieux par des hommes tirés de son sein que par des soldats qui souffrent du climat, et ne peuvent, avec leur armement et leur nourriture difficiles à transporter, être constamment en campagne. Les milices irrégulières annamites suffisent pour éclairer et surveiller, le Français n’apparaît plus que dans les situations graves. Les économies que l’on réalise ainsi sont d’autant plus grandes que le milicien coûte seulement 140 francs par an, tandis que le soldat blanc, tout compris, revient à près de 1,000 francs. D’un autre côté, les frais de constructions indispensables, comme les hôpitaux, les logemens d’officiers, les casernes, l’achèvement des arsenaux, le