Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/976

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du peuple ; mais il cultive presque exclusivement, au moyen de ses corvées, le café et le sucre, et achète à un prix fixé d’avance ce qui reste de la récolte après que le tribut, c’est-à-dire le cinquième du revenu, a été prélevé. De plus l’état emmagasine, conduit à la mer et transporte en Hollande les produits. Il profite donc de l’intérêt des sommes avancées par lui-même, et vend aux enchères publiques, au cours des bourses d’Europe, les denrées principales de l’île sans se payer de droits fiscaux, bien qu’il les maintienne sur les marchandises dont il laisse la culture libre. Ces revenus se trouvent augmentés par le monopole du sel et de l’opium, par les recettes provenant des îles de Sumatra, des Moluques et des Cêlèbes, administrées directement, et par des droits de douane qui s’élevaient au commencement jusqu’à 25 pour 100 ad valorem pour les marchandises importées par pavillons étrangers. Ce système, établi presque instantanément, était appliqué par une armée de 15,000 fonctionnaires civils soutenus par une force de 10,000 soldats blancs au plus pour une population générale dans tout l’archipel de près de 50 millions de Malais.

En moins de vingt ans, l’île de Java eut 12 millions d’habitans au lieu de 6. Les revenus s’élevèrent de 50 à 200 millions. Le déficit croissant fut remplacé par un excédant de recettes de 90 millions, qui a comblé et au-delà le capital, l’intérêt de la dette et les avances faites pour l’introduction du système. Les dépenses locales et les travaux publics nécessaires au développement des ressources du pays absorbèrent plus de 100 millions, les exportations montèrent à 170 millions, les importations à 125, et, si les guerres entreprises à Sumatra et à Bornéo n’avaient pas entraîné de fortes dépenses, la métropole eût pu encaisser 75 millions par année. Il est admis en général que la moyenne des recettes en Hollande a atteint le chiffre de 40 millions, toutes dépenses payées. L’effet produit en Europe par ces résultats fut immense. Il n’y eut que des admirateurs pour cette administration paternelle et prévoyante, enlaçant l’île entière, descendant aux plus intimes détails, et gérant un empire comme une propriété particulière dont on veut tirer 10 pour 100. Sans doute ces revenus se fussent maintenus indéfiniment à la même hauteur, si l’on n’eût touché à aucun des rouages de cet immense mécanisme ; mais les idées marchent, et les nations maritimes, au lieu de chercher la fortune et le bien-être des masses dans le monopole, les trouvent dans la liberté du commerce et l’égalité des pavillons. La Hollande fut donc amenée peu à peu par la force des choses à diminuer ses tarifs de douane, d’entrée et de sortie sans distinction de nationalité, à modifier, de concert avec la France et l’Angleterre, sa loi sur les sucres au