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Dans tous les pays agricoles, il est des époques périodiques pendant lesquelles les agitateurs peuvent facilement recruter des hommes, organiser une Vendée. C’est le moment où les travaux des champs sont terminés. En Cochinchine, ce chômage tombe à peu près vers la fin du mois de mars, au commencement de la saison des pluies. En prévision de nouveaux troubles, on distribua donc les troupes, les irréguliers et les canonnières pour la défense et pour l’attaque ; puis, sans mouvemens apparens, on se tint prêt à tout. Au mois de mai 1867, à date fixe et prévue pour ainsi dire, Pou-Combo se retrouva aux mêmes lieux avec les mêmes projets et les mêmes prétentions au trône de Norodon. L’amiral ne l’attaqua pas directement ; il lança contre lui Fra-cleo-fa, le frère du roi, qui demandait avec instance à se mettre à la tête de Cambodgiens fidèles. Pou-Combo fit son jeu ordinaire, inquiéta plusieurs points à la fois, signalant son passage par des incendies ; mais Fra-cleo-fa, bien armé par nos soins, appuyé de loin par la garnison de Tayning et une petite colonne mobile, marcha vigoureusement en avant, prenant chaque jour plus d’ascendant sur ses hommes et gagnant du terrain sur l’ennemi, qui ne tint nulle part. Pou-Combo, abandonné de tous, même de ses partisans les plus dévoués, prit la fuite vers les déserts et ne reparut plus. Pendant ce temps, les troupes et les bâtimens de flottille se concentraient à Saigon et à Mytho, où chacun attendait fiévreusement le signal du départ pour les trois provinces annamites. C’était moins un désir de gloire qui animait les troupes que la certitude de terminer bientôt et à jamais d’éternelles rébellions. Pour le commerce, tant français qu’étranger, le moment était enfin venu où il allait pouvoir s’asseoir solidement ; on tenait le vrai remède à tous ces pillages de champs ou de barques, la solution des incertitudes qui ruinaient les combinaisons les plus sûres, et annulaient les forces productives d’un pays si riche.

Le 19 juin dernier, à la pointe du jour, les canonnières, portant un millier d’hommes, mouillèrent devant Vinluong et l’investirent en quelques instans par terre et par eau. Les habitans, plus curieux qu’effrayés, étaient groupés sur les rives du fleuve. Aucune résistance ne fut faite à notre entrée dans la citadelle, restée ouverte. Bientôt après le gouverneur Fan-tan-gian, accompagné des mandarins militaires et civils, sortit de la place et vint à bord de l’Ondine, où flottait le pavillon du vice-amiral de La Grandière. Si petit que fût le cadre, l’entrevue empruntait aux circonstances une certaine solennité, car Fan-tan-gian nous apportait la soumission d’une population de plus de 500,000 âmes. Dans une allocution courte et digne, il recommanda les provinces à la clémence du