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notre position politique avant l’annexion des trois provinces du sud, il est nécessaire de comparer physiquement notre colonie à une terre familière à tout le monde, à l’Égypte par exemple. Si l’on ne tient pas compte de l’orientation, un observateur placé dans la Méditerranée peut se figurer l’empire d’Annam représenté par les déserts de Libye et les côtes de Tripoli. Après une conquête et un traité, nous serions devenus maîtres dans le delta du Nil du port d’Alexandrie et de la branche de Damiette, laissant à l’ennemi la souveraineté des bouches de Rosette, tanitique et pélusiaque, avec libre passage sur notre possession pour ses agens, ses préfets, ses lettrés et ses barques. Dans cette hypothèse, et pour compléter la similitude, la Haute-Égypte figurerait le royaume du Cambodge, et la Mer-Rouge le golfe de Siam ; le Nil rappellerait alors le Mékong, avec lequel il a tant de ressemblance par ses crues périodiques et fécondes. Nous formions, on le voit, une enclave dans l’empire cochinchinois, et on comprend combien nous étions abordables par tous les points, avec quelle facilité les bandes de pirates et de pillards trouvaient en quelques heures un refuge assuré chez leurs compatriotes par le réseau d’arroyos qui relient entre eux les bras du Cambodge que nous ne possédions pas encore. A la rigueur même, les Annamites pouvaient se concerter, se réunir au large, sur les bancs, au milieu des pêcheries qui encombrent les embouchures du fleuve, tomber à l’improviste sur les centres ralliés à notre domination, et, profitant d’une marée favorable, disparaître, laissant l’incendie derrière jeux, sans que l’on pût les poursuivre efficacement, ni soupçonner leur connivence avec les autorités des trois provinces du sud.

Jusqu’à l’année dernière, la cour de Hué n’avait cependant, jamais manqué ouvertement aux clauses du traité conclu par l’amiral Bo-nard. Les échéances de l’indemnité de guerre stipulée pour nous et les Espagnols, souvent reculées, finissaient toujours par être soldées ; mais les mandarins abusaient étrangement de leur droit de libre circulation sur nos terres. Ils encourageaient les résistances à nos ordres et semaient partout des doutes sur la perpétuité de la présence de nos troupes dans le pays. Notre attitude les encourageait peut-être dans cette voie, car un instant nous avions paru hésiter devant les dépenses de première installation, et l’on avait pensé même à ne garder de nos provinces que quelques comptoirs commerciaux, espèces de ports francs intérieurs, reliés entre eux par des routes stratégiques et défendus par une garnison réduite. C’était perdre les résultats déjà obtenus sans compensation dans l’avenir et compromettre les Annamites qui s’étaient dévoués à notre cause. On sait quelles hécatombes humaines signalent