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que Rome elle-même était sur le point d’abandonner, avaient pu diriger contre M. de La Chalotais le bras des ministres qui venaient de les proscrire, cela était extravagant sans doute ; mais il est certaines heures d’émotion durant lesquelles le cours ordinaire des idées demeure comme suspendu, et où des esprits sensés se laissent envahir par l’absurde. S’il est un fait avéré, c’est que les jésuites ne furent pour rien ni dans les poursuites dirigées contre M. de La Chalotais, ni dans les mauvais traitemens qui vinrent aggraver les douleurs de sa captivité ; mais alors tout le monde n’en jugeait pas ainsi. Pendant qu’à Saint-Malo le peuple, anxieux et contristé, attendait chaque jour l’exécution des prisonniers et qu’on y parlait de préparatifs faits au château pour un usage sinistre, à Rennes on s’inquiétait de réunions nocturnes tenues, disait-on, a l’hôpital de Saint-Meen ; on avait compté le nombre des ex-jésuites qui s’y introduisaient travestis ; on savait le nombre des visiteurs et des visiteuses venus pour assister à des conciliabules ténébreux et pour y mettre leur or à la disposition de chefs inconnus. Ces vagues soupçons ne tardèrent pas à prendre une forme, sinon plus vraisemblable, du moins plus précise. On fit jusque dans les plus minutieux détails toute l’histoire d’une trame ourdie par les jésuites afin de faire empoisonner M. de La Chalotais dans sa prison. Le principal instrument du crime aurait été un vieux prêtre, aumônier de Saint-Meen, lequel avait remis une bourse remplie d’or à l’un des officiers chargés de la garde du procureur-général pour prix de cet assassinat.

Si étranges que fussent de pareils bruits, le malheureux ecclésiastique qu’ils atteignaient se vit obligé de réclamer deux fois des tribunaux justice contre ses calomniateurs obstinés, et, quoiqu’il demeurât à la suite de ces jugemens parfaitement établi que la bourse remise à un officier était la propriété de cet officier lui -même, et que ce dernier n’avait été dans aucun moment ni dans aucun lieu préposé à la garde de M. de La Chalotais, l’abbé Clemenceau, malgré l’honorabilité d’une longue vie, se vit obligé d’inonder la province de mémoires justificatifs ! pour conserver intact l’honneur de ses cheveux blancs. C’était là un signe du temps, car le plus sûr thermomètre de l’exaltation publique, c’est le degré de crédulité qu’elle peut atteindre.

Cependant rien n’avançait à Saint-Malo ni rien non plus ne se faisait à Rennes. Les magistrats de l’ordre administratif avaient dû, au bout d’un mois, abandonner les sièges du parlement[1], car

  1. Lettres patentes du 24 janvier 1766, portant révocation des pouvoirs donnés aux membres du conseil d’état afin de tenir la cour du parlement.