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accusation qu’on a intentée contre lui, et couvrir cette accusation du voile d’une calomnie, c’est un crime capital.

« Interdire à un accusé tout recours et tout accès au trône et à la justice, c’est un crime capital.

« Supposer des troubles dans une province tranquille pour y supposer des séditieux, lorsqu’il n’y a d’autres troubles que ceux qu’on a fomentés soi-même, calomnier une nation, c’est un crime capital.

« Avoir à sa disposition des émissaires et des agens capables de tout entreprendre, des faux témoins capables de tout dire, des casuistes capables de tout excuser, des experts assez ignorans ou assez corrompus pour trouver tout ce qu’on leur ordonne dans des pièces où dans des écrits, rendre le crime de lèse-majesté arbitraire afin de l’appliquer arbitrairement, envelopper une famille entière dans la proscription de son chef, frapper un homme in conjugem, in familiam, in cætera ejus pignora, est-ce assez, et cela ne crie-t-il pas vengeance devant Dieu et devant les hommes ?…

« Toutes les inculpations que j’avance, tous les faits que j’allègue contre MM. de Saint-Florentin et d’Aiguillon ne sont point des accusations récriminatoires pour détourner celles qu’ils m’ont intentées ; si elles sont vraies, les autres sont fausses. En résumé, sans accuser nommément M. de Saint-Florentin d’avoir fait fabriquer les billets anonymes, je l’accuse de me les avoir faussement et méchamment attribués ; je le tiens pour fauteur du faux et receleur du faussaire… Voilà ce qui s’appelle gouverner ; voilà ce qui doit frayer à M. d’Aiguillon le chemin du ministère ; voilà à quoi sont employés les deniers du roi, qui proviennent de la sueur et du sang du peuple[1] ! »


En butte à la calomnie, M. de La Chalotais, dans sa magnifique colère, en rejetait le poids sur la tête de ses calomniateurs, qu’il acculait à l’absurde ; mais, ne sachant rien du dehors, si ce n’est que tous les êtres qui lui étaient chers, depuis ses enfans jusqu’à ses amis, subissaient dans l’exil les rigueurs du pouvoir, M. de La Chalotais perdit le calme avec lequel il avait d’abord supporté son infortune. Son imagination forgea mille chimères pour s’expliquer à lui-même l’acharnement de ses ennemis. Il se crut dévoué à la mort par la société puissante dont il avait provoqué la chute. Ceux d’entre ses amis qui avaient concouru aux arrêts de 1762 en vinrent de leur côté à penser et à dire que le parlement de Bretagne, aussi bien que son procureur-général, étaient victimes d’un vaste complot jésuitique. Croire que des malheureux, broyés par le pouvoir absolu, au char duquel ils s’étaient imprudemment attelés, et

  1. Bibliothèque de l’Arsenal, affaires de Bretagne, portefeuille L. XXXVI, n° 50 bis.