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accusation. Lors donc que le magistrat instructeur lui eut présenté deux chiffons de papier envoyés à M. de Saint-Florentin, et dont la forme comme le style constataient l’origine infime, il fut pris d’un fou rire auquel il donna un libre cours, mais qui ne devint nullement contagieux parmi les membres de la commission criminelle ; puis, se redressant à la hauteur d’un gentilhomme outragé dans son honneur et d’un homme d’esprit accusé d’avoir perdu la raison, il déclara laconiquement qu’il offrait sa tête à ses ennemis, s’ils parvenaient jamais à prouver à des hommes de bon sens qu’il eût écrit pareilles rapsodies.

A la suite de ce chef d’accusation se plaçaient les suivans, qui s’appliquaient, sauf quelques variantes dans les termes, aux cinq autres magistrats accusés : accord et concert secret pour préparer et exciter au sein des états et du parlement la résistance aux volontés du roi, animosité effrénée contre des personnages honorés de la confiance du souverain et dépositaires de son autorité. abus fait des instructions ministérielles pour les tourner en dérision dans un grand nombre de correspondances privées saisies au domicile des accusés. Un délit particulier à M. de La Chalotais consistait à avoir dit en passant sur la place publique où s’élevait le monument élevé au roi : Voilà la statue que les Bretons ont élevée à l’homme qui les persécute ! Un autre délit était spécial à MM. Charette de La Gascherie et de La Collinière : ils étaient accusés, le premier d’avoir inspiré, le second d’avoir rédigé un mémoire par lequel, en établissant méchamment que les rois mérovingiens n’avaient pas conquis la Bretagne, ils s’étaient efforcés de provoquer la guerre civile et le morcellement de la monarchie française.

Quoique la rigoureuse surveillance à laquelle ils étaient assujettis les eût empêchés de se concerter, tous les accusés avaient, par une inspiration spontanée, décliné la compétence des commissaires, dans lesquels ils se refusaient à voir des juges. Membres du parlement de Bretagne, ils réclamaient à titre de droit sacré celui d’être jugés par lui, et, si la désorganisation sous le coup de laquelle cette cour souveraine se trouvait alors placée rendait son intervention impossible, ils demandaient à être renvoyés devant le parlement de Bordeaux, auquel une ordonnance de 1737 avait attribué le jugement des affaires qui ne pouvaient être suivies à Rennes pour cause de suspicion légitime. Cette réserve une fois faite, aucun des accusés n’éprouva le moindre embarras pour renverser une pareille accusation, bien que l’esprit subtil de M. de Calonne tirât les inductions les plus révoltantes de mots insignifians proférés ou écrits dans un commerce d’intimité. Si les accusés étaient tous des mécontens, et si cette situation-là seyait assez mal à des